Le grand écrivain.
Le vent avait faibli. La houle qui s'était formée dans la matinée, encore que tolérable, avait cependant ébréché le plaisir de notre sortie en mer. Du moins chez mon équipage - femme et enfants - peu convaincu de mes talents à affronter quelques moutons : moues, silences ou soupirs cessèrent par enchantement quand je leur suggérais, maugréant, de regagner notre port.
Je devais dès lors une petite compensation à mon amour propre et choisis de musarder sur le chemin du retour, épousant au plus près les contours de la côte, ma vigilance aiguisée par la succession de rochers verdâtres qui affleuraient tels des crocodiles guettant patiemment d'inéluctables proies.
L'apaisante beauté toujours renouvelée de ces sites ne pouvait que nourrir notre bonheur d'être ensemble. Ici une baie turquoise à peine troublée par la flottille de petites embarcations qui s'y étaient réfugiées. Là les ruines écrasées de soleil d'une tour de guet dont l'évocation mêlait un Amiral anglais et l'Ulysse de Joyce. Tout cela sous une pluie d'embruns qui avait banni toute torpeur estivale.
Sans encombre nous parvînmes à une anse ombragée, aux dimensions réduites, que surplombait "le Château". Il s'agissait en fait d'une simple bâtisse, certes imposante, que l'exagération coutumière sous ces latitudes avait fait accéder au statut de "Château". L'entretien patient des lieux l'avait préservé des incendies en domestiquant une végétation dorénavant ornée de massifs de fleurs tachetant de bleu, de rouge et de rose les successives nuances de vert qui en étaient l'écrin.
Sous la protection des pins, le jardin descendait en pente douce vers la mer où s'avançait un ponton rudimentaire et grossier.
Tous savaient que le "Château" accueillait plusieurs fois par an et pour des séjours de longueurs variables et toujours discrets le grand écrivain. D'innombrables entretiens et plusieurs oeuvres avaient conféré à ces lieux une aura particulière qui ne m'avait jamais laissé insensible même si je ne faisais pas mon ordinaire de ses livres.
L'homme était séduisant : son intelligence et sa culture, son humour et sa courtoisie l'avaient naturellement porté au respect des êtres et des lieux dans ce coin de notre chère Méditerranée.
Il n'était pas de la vulgaire cohorte des dits "people" avachis à longueur de colonnes dans la complaisante presse locale, beuglant à trop haute voix de leur amour pour l'île. Un hôte, non un client.
Ces jours derniers, on avait pu apprendre la parution prochaine d'un nouvel ouvrage de mémoires au titre décidément aragonien. Mais avaient filtré quelques doucereuses indiscrétions sur la dégradation de son état de santé suggérant même que ce livre serait peut être le dernier à paraître, du moins de son vivant...
Je savais donc la véritable raison, peu avouable mais respectueuse, de mon détour.
Nous le vîmes. Il était là, jambes croisées, les bras le long du dossier de ce banc sur lequel il était assis, seul. On le devinait au blanc de la chevelure, au pastel de la chemise d'été aux manches longues retroussées avec bonheur, au gris du pantalon. Elégant.
Un peu à l'écart sous la futaie, indolent, un jardinier.
À vitesse réduite, non pour y accoster, je dirigeai notre embarcation vers le modeste ponton. Spontanément, j'avais décidé de le saluer. Je lui fis un signe du bras, trop timide sans doute. Le vit-il ?
Il n'y répondit pas.
J'étais heureux et un peu triste d'avoir aperçu Jean d'Ormesson.
Je devais dès lors une petite compensation à mon amour propre et choisis de musarder sur le chemin du retour, épousant au plus près les contours de la côte, ma vigilance aiguisée par la succession de rochers verdâtres qui affleuraient tels des crocodiles guettant patiemment d'inéluctables proies.
L'apaisante beauté toujours renouvelée de ces sites ne pouvait que nourrir notre bonheur d'être ensemble. Ici une baie turquoise à peine troublée par la flottille de petites embarcations qui s'y étaient réfugiées. Là les ruines écrasées de soleil d'une tour de guet dont l'évocation mêlait un Amiral anglais et l'Ulysse de Joyce. Tout cela sous une pluie d'embruns qui avait banni toute torpeur estivale.
Sans encombre nous parvînmes à une anse ombragée, aux dimensions réduites, que surplombait "le Château". Il s'agissait en fait d'une simple bâtisse, certes imposante, que l'exagération coutumière sous ces latitudes avait fait accéder au statut de "Château". L'entretien patient des lieux l'avait préservé des incendies en domestiquant une végétation dorénavant ornée de massifs de fleurs tachetant de bleu, de rouge et de rose les successives nuances de vert qui en étaient l'écrin.
Sous la protection des pins, le jardin descendait en pente douce vers la mer où s'avançait un ponton rudimentaire et grossier.
Tous savaient que le "Château" accueillait plusieurs fois par an et pour des séjours de longueurs variables et toujours discrets le grand écrivain. D'innombrables entretiens et plusieurs oeuvres avaient conféré à ces lieux une aura particulière qui ne m'avait jamais laissé insensible même si je ne faisais pas mon ordinaire de ses livres.
L'homme était séduisant : son intelligence et sa culture, son humour et sa courtoisie l'avaient naturellement porté au respect des êtres et des lieux dans ce coin de notre chère Méditerranée.
Il n'était pas de la vulgaire cohorte des dits "people" avachis à longueur de colonnes dans la complaisante presse locale, beuglant à trop haute voix de leur amour pour l'île. Un hôte, non un client.
Ces jours derniers, on avait pu apprendre la parution prochaine d'un nouvel ouvrage de mémoires au titre décidément aragonien. Mais avaient filtré quelques doucereuses indiscrétions sur la dégradation de son état de santé suggérant même que ce livre serait peut être le dernier à paraître, du moins de son vivant...
Je savais donc la véritable raison, peu avouable mais respectueuse, de mon détour.
Nous le vîmes. Il était là, jambes croisées, les bras le long du dossier de ce banc sur lequel il était assis, seul. On le devinait au blanc de la chevelure, au pastel de la chemise d'été aux manches longues retroussées avec bonheur, au gris du pantalon. Elégant.
Un peu à l'écart sous la futaie, indolent, un jardinier.
À vitesse réduite, non pour y accoster, je dirigeai notre embarcation vers le modeste ponton. Spontanément, j'avais décidé de le saluer. Je lui fis un signe du bras, trop timide sans doute. Le vit-il ?
Il n'y répondit pas.
J'étais heureux et un peu triste d'avoir aperçu Jean d'Ormesson.
Un joli texte , un brin nostalgique...
RépondreSupprimerVous voilà donc ici après avoir déserté Twitter (sans demander la permission !...)
A bientôt
Je suis "l'ataraxique" qui aime les vieilles canailles qui relèvent les compteurs ... ;)