Cioran & Howlin' Wolf, même combat !

"L'état musical associe dans l'individu l'égoïsme absolu à la plus haute générosité. On veut être seulement soi, non par orgueil mesquin mais par volonté suprême d'unité, par un désir de rompre les barrières de l'individualité; pour faire disparaître non l'individu mais les conditions astreignantes imposées par l'existence de ce monde. Qui n'a pas ressenti la disparition du monde, comme réalité limitative, objective et distincte, qui n'a pas eu la sensation d'absorber le monde dans ses élans musicaux, ses trépidations et ses vibrations, celui-là ne comprendra jamais la signification de cette expérience où tout se réduit à une universalité sonore, continue, ascensionnelle, tendant vers les hauteurs dans un agréable chaos. Et qu'est-ce que l'état musical sinon un doux chaos dont les vertiges sont des béatitudes et les ondulations des ravissement ?"

Le Livre des Leurres, oeuvre de jeunesse roumaine de Cioran publiée en 1936, s'ouvre sur un chapitre intitulé "Extase musicale" dont sont extraites les lignes ci-dessus. Il reviendra sur le thème plus loin dans ce livre et tout au long de ses écrits. 
Cela dans la continuité de Schopenhauer qui voyait dans la musique la forme d'art supérieure à toutes les autres, émanation du vouloir vivre qui anime le monde : 
"Elle passe à côté de nous comme un paradis familier, quoique éternellement lointain, à la fois parfaitement intelligible et tout à fait inexplicable, parce qu'elle nous révèle tous les mouvements les plus intimes de notre être, mais dépouillés de la réalité qui les déforme" peut-on lire dans le Livre III du Monde comme volonté et comme représentation.
Et de Nietzsche, bien sûr, dans le sens où "sans la musique, la vie serait une erreur".

Bach et Mozart sont toujours convoqués pour illustrer les propos de ces trois sulfureux personnages, de nos jours encore...
De même Wagner pour incarner le côté réputé sombre des deux Allemands.

Chez l'Apatride, élans, trépidations, vibrations m'amènent aussi du côté d'Howlin Wolf et de Muddy Waters. Qui ne m'ont jamais dissuadé de fréquenter Bach ou Mozart. Au contraire...
J'entends déjà à ma droite fulminer les puristes contre le crime d'associer une musique de nègres - je vois même l'absence de majuscule dans leur éructation ! - à ce qu'ils croient être leur privilège et chasse gardée. 
Et à ma gauche hurler les intégristes tristes à l'évocation de penseurs fascisants, fascistes ou carrément inspirateurs de Nazis, selon leur humeur du jour.
Congédions les tous et goûtons à l'apaisement d'être en pleine harmonie, là encore, avec Cioran.


Howlin' Wolf - Smokestack Lightnin'. (1959).


https://youtu.be/9Ri7TcukAJ8




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