Une trilogie new-yorkaise.

"Elle étudia la technique de Luke - approuvant la pyramide de petit bois et les bûches fendues posées sur la grille, au dessus de laquelle il fourra des boules de papier journal -, heureuse de découvrir que c'était le genre d'hommes qui savait faire un feu, et surprise de se rendre compte que c'était une qualité qui lui importait beaucoup. (...) Le père de Corrine, en son temps, construisait ses feux aussi méticuleusement que les maquettes de bateau qu'il assemblait au sous-sol, comme si ces structures avaient été vouées à l'éternité (...)
Russell, à l'inverse, était trop impatient : il avait tendance à bâcler sur le petit bois et le papier, trop pressé d'en arriver à l'étape de la combustion. En y réfléchissant un peu, elle se dit que c'était ainsi qu'il faisait la plupart des choses."

De tous les critères qui peuvent présider à un choix amoureux ou simplement sexuel opéré par une femme entre deux - ou plusieurs... - hommes, assurément celui de l'art du feu est parmi les plus anciens. On imagine fort bien cette cérémonie à l'époque des cavernes, ponctuée de cris, grognements et halètements, puis couronnée de râles dont la discrétion ne devait pas être le fort...

Voir dans le Manhattan du vingt et unième siècle ressurgir cet art primitif et vital comme élément de comparaison entre l'amant et le mari est une des nombreuses joies qu'offrent la lecture et la relecture - dans le désordre de parution - de la trilogie que Jay McInerney consacre à Russell et Corrine Calloway dans le New-York allant des années 80 à nos jours - le onze septembre...

Le plaisir de lecture est constant, de par l'attachement aux trois principaux personnages, sûrement croisés dans le réel, à l'identification qu'on opère grâce au mix de leurs personnalités - hésitations et lâchetés comprises -, à peine entaché ici ou là par ces pépites cachées des traductions françaises auxquelles, hélas, nous devons manifestement nous accoutumer : "Les deux derniers week-ends pluvieux du mois de juin, il ne cessa de pleuvoir..."
À croire que le poste relecture du budget de traduction devait être épuisé !

Il y a certes du Balzac chez l'auteur. Mais par dessus tout, l'accentuation de l'allure et du style fitzgeraldien du propos, des personnages et de l'action en cours. 
Au fil des oeuvres et à mesure de la progression de sa parenté avec le vieux Scott, McInerney s'éloigne des facilités californiennes dans lesquelles semble s'être englué Bret Easton Ellis. 

Et puisque personne ne me le demande, je livrerai mon propre critère de répartition entre le mari et l'amant - Luke (!) : si Russell a la mauvais goût de vibrer au bruit déversé par de pathétiques The Cure, Luke berce Corrine tout au long d'un week-end à l'aide de Gram Parsons - dont évidemment elle ignorait tout. 
Notons à son crédit qu'elle s'épargne la sottise de feindre de connaître le copain de Keith Richards, évitant ainsi tout ridicule aux yeux d'un amant qui n'aurait pas manqué de le noter et d'en tirer une leçon définitive (?) quant à sa vacuité, signant ainsi un terme prématuré à leur histoire. Ce qui aurait été fort dommageable pour le lecteur...
Love hurts...

Gram, bien sûr : https://youtu.be/6ivVJzGgcq0


Au loin, au dessus de la mer, en phase d'atterrissage, un moyen courrier au fuselage et à l'empennage orangé et d'argent a l'élégance du silence pour ne pas souiller l'adagio du concerto N° 23 de Mozart...

Le Lillet s'annonce, précédé du tintinnabulement des glaçons dans deux verres...
Tout est calme. Ataraxie.


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