De la coupe aux lèvres...
Relire ce vœu de Cioran exprimé à l'âge de vingt-deux ans dans son premier recueil "Sur les cimes du désespoir" : "Une folle volupté d'une ironie infinie s'empare de moi lorsque j'imagine mes cendres éparpillées aux quatre coins de la terre, frénétiquement soufflées par le vent, me disséminant dans l'espace comme une éternelle remontrance à l'adresse de ce monde";
Puis revenir sur les rocambolesques circonstances de ses obsèques telles que relatées par le plus-que-regretté Clément Rosset dans le Cahier de l'Herne consacré au "plus grand prosateur français" - dixit Angelo Rinaldi, lequel, pour sa part, n'aura pas attendu la mort pour entamer sa traversée du désert alors que sévissent dans le monde dit "des Lettres" tant de bouffons et bouffonnes surévalués -, me semble donner une mesure fiable de l'absurdité des choses...
Donc :
"L’enterrement de Cioran, qui eut lieu au cimetière Montparnasse en 1995, fut peut-être, pour moi qui y assistais un peu de loin, son chef-d’œuvre absolu quoique involontaire.
Madame Ionesco avait réussi à convaincre Simone, assez réticente, d’accorder à Cioran les honneurs funèbres prévus par le rite orthodoxe de Roumanie : messe ponctuée par le sermon d’un pope suppliant Dieu de pardonner à Cioran ses abominables écrits, enterrement au cimetière selon les rites stricts de l’Église roumaine qui prévoit, autour de la fosse encore vide, une théorie de bouteilles (remplies du fameux saint-émilion dont j’ai déjà parlé), ainsi qu’un certain gâteau des morts dont tous les assistants devaient manger un morceau arrosé d’un demi verre de vin.
Or, avant que le convoi funèbre ne soit parvenu au cimetière, les fossoyeurs, qui avaient remarqué la présence de victuailles déposées au bord de la fosse et les avaient prises pour une sorte de pourboire à eux destiné, en avaient consommé la moitié avant de mettre l’autre moitié à l’abri de leur cabanon, voyant l’assistance qui approchait. Interrogés, les fossoyeurs se contentent de remercier du cadeau, avant qu’on leur explique leur méprise.
Des négociations commencent alors à la porte du cabanon, qui butent sur un compromis dont les fossoyeurs en pleine révolte qui, sous l’emprise d’un meneur de choc, considèrent que le reste du butin leur appartient, ne veulent pas en démordre : ils rendront bien, si on l’exige, les bouteilles encore pleines et la moitié du gâteau ; mais cette brimade et ce « manque à gagner » aura pour contrepartie une autre brimade : ils n’enterreront pas Cioran. Grève illimitée du personnel du cimetière de Montparnasse.
Un accord fut long à trouver et je pus croire un moment que Cioran, qui en avait tant besoin, serait à jamais privé de repos éternel."
Je ne connaissais pas cette excellente anecdote, parfaitement burlesque (l'esprit de Beckett devait être dans le coin). Je savais seulement que ses adieux avaient été un peu un fiasco, et notamment à cause de ce clochard qui avait fait du foin sur le parvis de l'église à propos de ses jeunes années passées à la Garde de fer.
RépondreSupprimerEn somme, une sorte de clochard politiquement correct dont, hélas ?, la postérité n'a pas retenu le nom...
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