La tellurique mère nazie de Leonard Cohen.

"An incredible beautiful blonde woman singing, the apotheosis of the Nazi earth mother (...) who looked like she inhabited a Nazi poster.
This is the woman I've been looking for, I thought".

Montreal 1966. Leonard Cohen est fauché. Ses livres, recueils de poésies, romans, publiés avant ou après son séjour en Grèce se sont fort mal vendus, ne lui assurant ni gloire ni revenus suffisants pour en vivre.
Il décide de quitter le Canada avec le projet baroque de s'installer à Nashville pour écrire des chansons country, genre mineur où il ne sera pas trop difficile de se tailler une place, pense t-il.
Accueil garanti !

Chemin faisant, halte à New York. Il connaissait Lower Manhattan pour y être venu en 1957, le temps de voir un Kerouac ivre faire une lecture au Village Vanguard.
Neuf ans après, beaucoup de choses avaient changé. 
Le Dome par exemple, 8th street. Base d'Andy Warhol et de sa cour.
"Je ne connaissais personne de tous ces gens. Je vis cette fille chanter, tout à côté du bar. C'était quelque chose, la plus belle femme que j'aie jamais vue jusqu'alors".
Accompagnée d'un gamin - "in his teens, who had an equally angelic face" - 17/18 ans donc. 
Jackson Browne. Pour lui aussi, beaucoup plus tard, la gloire.
Pour l'heure, guitariste-accompagnateur, compositeur. Et amant.

La blonde incroyable, au look de poster nazi ? Nico. Qui d'autre ?
Blonde, glaciale, révélée au grand jour par Fellini, sous le regard tendre et las du Mastroianni de la Dolce Vita. Puis rencontre avec Delon qui la saccagera à jamais, halte - brève - dans le swinging London, et New York enfin où Dylan, qui lui écrira  I'll keep it with mine, la présente à Warhol. Lequel l'impose comme "chanteuse" du Velvet Underground à des gens qui n'en voulaient pas mais s'inclinent : bien obligés, c'est Andy qui finance. Ou qui le fait croire.
Jusqu'au tour de chant au Dome, 8th street.

Qui n'a pas été amoureux de Nico à dix-sept ans, dans les sixties? 
Cohen n'exagère en rien sa beauté : c'est probablement en ces temps la plus belle femme du monde. Même si elle ne le fut pas, aujourd'hui elle passe pour l'avoir été. 
Bardot ? Hors-concours, mythe déjà. 

Tétanisé, bousculé, il se fraye un chemin, se plante devant elle : "I just stood there, with my jaw agape". Le loup de Tex Avery. Ou presque. Et raconte :
"I walked up to the tallest and the blondest girl 
I said, Look, you don't know me now
But very soon you will 
So won't you let me see 
I said "won't you let me see" 
I said "won't you let me see 
Your naked body ?"


Lui dit-il cela dès le premier soir ? Il le chantera en tout cas, plus tard dans "Memories", quatrième titre du pathétique "Death of a Ladies' Man" produit par Phil Spector.
La seule chose dont on soit sûr, c'est que d'emblée la déesse calme toute velléité, à défaut d'ardeur : "Forget it, seuls les mecs jeunes et beaux m'intéressent. Mais j'aimerais bien être ton amie".
"And we became friends". 
On le devine, pas tout à fait ravi. Dans la foulée, elle lui présente Lou Reed - "I was surprised to find he had read me" - qui l'assura de la communauté de leur génie, et John Cale, bien des années plus tard l'homme d' "Hallelujah".
En fin de compte, une soirée pas tout à fait perdue.

Amoureux transi, amoureux fou au point d'allumer des chandelles, de prier, de se livrer à des incantations pour qu'enfin elle puisse tomber à son tour amoureuse de lui ! Rien n'y faisait.
Il croit avoir trouvé la véritable raison de cette froideur, et l'exprimera des années après : 
"Nico était vraiment bizarre. J'essayais de lui parler et elle répondait de façon très étrange. Peu importe ce que vous lui disiez, elle répondait toujours de façon curieuse !"
Exemple ? : " Je marchais avec Nico, lui demandant, penses-tu que Jeanne d'Arc soit tombée une fois amoureuse ? (!)
On imagine la voix gutturale laissant tomber un "All the time, Leonard, all the time". 
Avant de lui inspirer Joan of Arc, la chanson.

Il demeure perplexe devant le tour que prennent leurs conversations. Lui ébauche-il une chanson, "The Bells", qui deviendra "Take this longing" ? Il la lui chante : "Elle n'entendait pas tout mais hochait la tête en signe d'appréciation". Sourde ? " Elle me dit qu'elle était sourde. À tous, elle répondait ce qui lui passait par l'esprit parce qu'elle pouvait à peine entendre quoi que ce soit. Ce qui expliquait sa manière si étrange de s'exprimer".
"But I loved Nico. I was only peripherally involved with the Andy Warhol / Velvet Underground scene. It was really Nico I was in love with".
On l'avait compris. De son côté ? Rien. Si, plus cruel encore parfois : Les Doors sont à New York pour leur premier engagement dans une discothèque de Midtown, l'Ondine. Parfaitement inconnus. Très vite, le bouche à oreille et la jalousie des warholiens. Gérard Malanga accuse Morrison de lui avoir volé son look (!) avec son futal de cuir noir, Andy couine ... 
Nico se pointe, accompagnée du brave Lenny. Vers la fin du spectacle, elle se penche, lui assène un "Tu peux rentrer seul ! I MUST see the singer backstage".
Il rentra seul dit-on.
A t-il compris ce soir là ? Fin de l'histoire ? Pas encore.

Lenny est sur le chemin de la gloire qui viendra en 68 avec Suzanne.
Nico a entamé sa longue descente, pavanera à Monterey parmi le public du premier grand Festival de rock, exhibée comme trophée de guerre par un Brian Jones bouffi et proche de la fin. 
Belle ? Toujours, bien qu'un peu lasse. Mais éclipsée par celle qui va être l'emblème du Flower Power éclatant : Michelle Phillips - Qui n'a pas été amoureux d'elle à dix-sept ans, dans les sixties ? 
Mais elle sera pour Jagger.  Poor Brian décidément ! 
Clap de fin ? Pas tout à fait.

New-York, Chelsea Hôtel. Début des Seventies.
Il tombe sur Nico, un soir, au bar du Chelsea. Toujours amoureux, toujours amie. 
Longue discussion alcools, l'heure de la fermeture sonne. Nico, éméchée, lui propose de continuer leurs papotages dans sa chambre, puisqu'il vit au Chelsea. Bingo, enfin ? 
Il ne se le fait pas répéter : " We went up to the room and sat on the bed. I put my hand on her wrist and..." Elle hurle, se débat, et d'un violent coup de poignet, le fait tomber du lit. 
Les flics, qui recherchaient un meurtrier planqué dans l'hôtel, crurent débarquer sur une nouvelle scène de meurtre et se précipitèrent dans la chambre après avoir enfoncé la porte ! 
"That Leonard Cohen, he broke my wrist !" Cette voix ! Cet accent !
Fin de l'histoire. Cette fois, pour de bon.

"Elle s'appelait Christa. Je ne le savais même pas."
"Nico m'avait perçu du premier coup d'oeil à travers toutes mes pathétiques foutaises, comme on pourrait et devrait appeler ça. Mon oeuvre, entre autres choses, est un monument aux yeux de Nico".

So, one of us cannot be wrong.

https://youtu.be/eBQwlo9WkcA








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