Cicéron comme remède.

1512. San Casciano, Toscane. Après le retour des Médicis au pouvoir, Machiavel y est assigné à résidence, prix à payer pour avoir fait de mauvais choix à Florence.
S'ouvre le temps de l'otium, tout autre chose que la simple oisiveté. 
Il l'organise autour de choses essentielles que sont l'amour des femmes, de la littérature, de l'écriture au service de sa passion, la politique.
Ses compagnons de désoeuvrement dans la journée, "plongé dans cette vulgaire existence" ? Chasseurs et paysans, joueurs de cartes et de trictrac avec lesquels il passe des heures entières.
Mais le soir venu, tout change... Écoutons le dans la fameuse lettre à Francesco Vittori du 10 Décembre 1513 :
"Le soir venu, je retourne chez moi, et j’entre dans mon cabinet, je me dépouille, sur la porte, de ces habits de paysan, couverts de poussière et de boue, je me revêts d’habits de cour, ou de mon costume, et, habillé décemment, je pénètre dans le sanctuaire antique des grands hommes de l’antiquité ; reçu par eux avec bonté et bienveillance, je me repais de cette nourriture qui seule est faite pour moi, et pour laquelle je suis né. Je ne crains pas de m’entretenir avec eux, et de leur demander compte de leurs actions. Ils me répondent avec bonté ; et pendant quatre heures j’échappe à tout ennui, j’oublie tous mes chagrins, je ne crains plus la pauvreté, et la mort ne saurait m’épouvanter ; je me transporte en eux tout entier".
En sortiront Le Prince et les Discorsi, autre chef d'oeuvre et sommet de toute littérature politique.

Nulle ambition d'écrire quoi que ce soit et désintérêt complet de la vie politique, sinon des idées : il m'est loisible de partager encore les passions du secrétaire florentin et de me "repaître" à mon tour de la nourriture des Anciens.
Nul besoin d'habits de cour : jean, sweater, sneakers suffisent amplement. Avec un bon feu et du silence.
Je viens d'en faire l'expérience avec ces jours derniers passés en la compagnie exclusive de Cicéron.
Courts traités, oeuvres tardives plus ambitieuses du temps de sa mise à l'écart de la vie publique, tout y est brillant, profond, somptueusement écrit, chaque page comme source de méditation.
Et si loin des versions latines sur lesquelles nous ahanions, Gaffiot à portée de main pour y débusquer les extraits traduits les plus longs et limiter nos contre-sens !

J'y vérifie l'éternelle pertinence de la parole de l'Écclésiaste : rien n'est vraiment "nouveau sous le soleil".
Et j'en sors lavé, enrichi, toujours plus conforté quant au caractère dérisoire des choses publiques - bien que rien ne soit plus important pour Cicéron ! - et au tragique qui y voit consacré et gâché tant de temps à jamais perdu.
Il sera toujours temps d'être rattrapé par la médiocrité de l'époque...

Plaisir de partager une récente découverte, Jean-Marie Leclair. 
L'année commence bien. On la souhaite également bonne pour le lecteur égaré ici...


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