Elvis & Dylan. Sinatra.

Octobre 1970 : le onzième album studio de Dylan est publié aux USA. New Morning reçoit un accueil plutôt favorable de la part de la Bible rock : "On nous a rendu notre Dylan !" s'exclame Rolling Stone, quatre mois seulement après l'inégalable - et inégalé à ce jour -"What's this shit ?", qui salua, sous la plume de Greil Marcus, la parution de "Self Portrait" au mois de Juillet précédent.
Beaucoup d'eau a coulé en quarante-sept ans (!), et le double album honni a été largement réévalué depuis. Passons...
New Morning donc : un excellent sinon un très grand Dylan avec le retour d'Al Kooper aux manettes.

Sur la face A figure un des deux ou trois meilleurs titres de l'opus. "Went to see the gypsy" a donné lieu à un torrent d'interprétations plus délirantes les unes que les autres, toutes spéculant sur l'identité de ce gitan qui était censé être rien de moins qu'Elvis. Presley.
Mais en existe-t-il seulement un autre ? De crédible, je veux dire...

Tout est parti d'une réponse que le futur Nobel aurait faite à une question posée par un des musiciens de la session - le guitariste Ron Cornelius - concernant ce fameux gitan : "c'est Elvis", aurait répondu Dylan, "que j'ai rencontré dans un hôtel de Las Vegas", ouvrant ainsi la voie à une de ces mystifications dont le rock est friand, quelque part entre la mort de McCartney et les Masked Marauders - Dylan, déjà, en compagnie de quelques Beatles et Stones ! 

Il fallu attendre Mai 2009 et un entretien avec Rolling Stone pour avoir la version officielle et définitive de l'affaire : " I never met Elvis because I didn't want to meet Elvis". Bam !
Mais que serait Dylan sans un peu de venin, qui ajoute donc : "Les Beatles ont tenu à le rencontrer : il s'est juste foutu de leur gueule."
Et d'enfoncer le clou, pour l'histoire : "À deux ou trois reprises, quand nous étions à Hollywood, il nous a envoyé des mecs de sa mafia de Memphis pour nous amener le voir. Aucun d'entre nous ne l'a voulu. Parce que nous aurions été trop tristes de le rencontrer."
Et de finir, sentimental : " Je ne voulais pas voir Elvis dans cet état. J'aurais voulu voir l'Elvis mythique et tout puissant qui s'était écrasé, tombant d'une étoile incandescente, sur le sol américain. L'Elvis qui éclatait de vie. Et cet Elvis n'était plus : he had left the building".

La chanson avait donc bien un rapport avec Elvis, mais celui rêvé et fantasmé par le jeune Zimmerman dans ses nuits de Hibbing Minnesota.
"The gypsy was gone (...) so I watched that sun come rising from that little Minnesota town" : ainsi se termine le morceau.

Mais comme souvent avec Dylan, l'histoire n'est jamais tout à fait terminée.
En 1972, il assista en compagnie de George Harrison à un concert du King au Madison Square Garden. Toujours pas de rencontre directe, mais - comment ?- un accord de principe pour une session d'enregistrement réunissant les trois !
Session qui n'eut jamais lieu. Version dylanienne de l'affaire : "Elvis est bien venu au studio, mais nous, non !"
On imagine que du côté de Memphis, la version était différente, et ce furent les deux zèbres qui poireautèrent dans le studio ! Tout Beatle et tout Dylan qu'ils étaient...

D'étoiles incandescentes, il va en être question ici.
Au début des années quatre-vingt dix, Dylan et Springsteen sont invités à une soirée chez Sinatra, et là, pas question de se défiler !
À l'issue du repas au cours duquel il apprend que, des quelques chansons qu'Old blue eyes dit connaître de son oeuvre, c'est Forever young qu'il préfère, tout le monde se retrouve dans le patio.
Sinatra le prend par le coude, et à haute voix, afin que nul n'en ignore, lui lance, regard tourné vers le ciel californien : "Toi et moi avons les yeux bleus et nous venons de là-haut".
Et, accompagné d'un geste ample de l'autre bras qui finit par désigner le sol : "Tous les autres, eux tous, sont d'ici".
"These other bums are from down here" : encore plus cruel en VO.
Et Dylan d'ajouter : " Je me souviens avoir pensé qu'il avait peut-être raison..."

Springsteen a du en avaler sa boisson de travers, comprenant ce jour-là, que malgré le soutien inconditionnel des medias de tous les pays et des gogos, il ne jouerait jamais vraiment dans la cour des Grands.
Et qu'il n'était Boss que par la grâce d'un slogan publicitaire.
Le vrai Boss venait de parler.

Cadeaux : deux versions, l'originale et un outtake des sessions.

https://youtu.be/sK55SOxgTOA


https://youtu.be/O2x7HendVf0






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