Du bon usage de la pitié.

"Pourquoi l’homme veut-il s’apitoyer au spectacle des aventures lamentables et tragiques qu’il ne voudrait pas lui-même souffrir ? Et cependant, spectateur, il veut souffrir de la douleur, et cette douleur même est son plaisir. Qu’est-ce donc, sinon une pitoyable folie ? Car notre émotion est d’autant plus vive que nous sommes moins guéris de ces passions. Quand on souffre soi-même, on nomme ordinairement cela misère, et quand on partage les souffrances d’autrui, pitié. Mais quelle est cette pitié inspirée par les fictions de la scène ?  
Appelle-t-on l’auditeur au secours ? Non, il est convié seulement à s’affliger, et il applaudit l’acteur en raison de la douleur qu’il reçoit. Et si la représentation de ces infortunes, antiques ou imaginaires, ne l’attriste pas, il se retire le dédain et la critique à la bouche. Éprouve t-il de la tristesse, il demeure là attentif et joyeux. 
Ce sont donc les larmes et les impressions douloureuses que nous aimons. Sans doute tout homme veut se réjouir. Il ne plaît personne d’être malheureux, mais on aime éprouver de la pitié, et comme la pitié ne va pas sans douleur, n’est-ce pas pour cette seule raison que la douleur est aimée ?"
Saint Augustin, Confessions, Livre III, Chap. 2. De la nature du plaisir dramatique.


Quelques siècles passèrent, et La Rochefoucauld, en sa maxime 264, fidèle à l'acuité de son regard pour le noir de l'âme humaine, donna de la pitié une autre lecture, y voyant moins une source de douleur jouissive pour l'âme que souci de soi : "La pitié est souvent un sentiment de nos propres maux dans les maux d’autrui. C’est une habile prévoyance des malheurs où nous pouvons tomber ; nous donnons du secours aux autres pour les engager à nous en donner en de semblables occasions; et ces services que nous leur rendons sont à proprement parler des biens que nous nous faisons à nous même par avance." 



Acrylique sur bois (2022).

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