Rock & Folk, 50 ans après. Épisode XI.


À la re-lecture de ce numéro d'avril 73,  comme une impression vérifiée par cinquante ans tout ronds : à l'époque, déjà, le rock s'éloigne dans le temps. Bien sûr, Dylan est là, au-dessus de tout et tous, tellement là qu'il va revenir en fanfare dans quelques mois.
Leonard Cohen, Van Morrison aussi, le son d'Atlantic et de Motown.
Bien sûr, sont imminentes les explosions de Bowie et de Lou Reed - même s'il n'est pas incongru d'estimer qu'il avait livré l'essentiel avec le Velvet. De Roxy Music, excitant lui aussi, en plus dilettante et cultivé.

Mais très vite anglais - Kinks, Who, Procol Harum, Traffic -, et américains - Byrds, CSN & Y et autres mastodontes - vont s'essouffler, Clapton ou Winwood et tant d'autres se répéter. Les Stones n'ont guère plus de deux années devant eux pour produire des disques, honorables dira-t-on. Surnagent Pink Floyd et Led Zeppelin qui règneront durant le reste de la décennie. Et le rock sudiste dans la foulée des frères Allman.

Le rock - au sens de créativité artistique - a vécu, s'épuisant en sous catégories - hard, progressive, australien, pourquoi pas ?, et autres artefacts - et copies plus ou moins habiles - gonflette avec l'auto-proclamé "Boss" ou caricatures - Bon Jovi, par exemple...,  et toute une théorie de bouffons qui s'époumoneront sur des musiques bruyantes et étiques. Il croira un moment trouver un second souffle dans des épousailles avec la country music - le country-rock qui très vite s'échouera dans la machine à cash des Eagles et des leurs clones. Ou même, ressusciter avec les punks - la plaisanterie fut juteuse en termes de business, tristement comique en terme de musique.

On trouvera bien évidemment des instants de plaisir et parfois de bonheur - J.J. Cale, la plus grande partie de la Soul music noire américaine avant la pathétique Disco music ( ! ), le crépusculaire Johnny Cash, le jazz-rock de Jeff Beck ou des épigones de Miles, bien sûr... "In a silent Way" a déjà quatre ans...
Mais, sauf à nier un sens aux mots, tout cela c'est autre chose, et plus du rock. Le rideau mettra des années à tomber, entretenant ambiguïtés et arnaques, esbroufe et fausses gloires.

Fastoche de déceler tout cela avec le recul. Demeure après tout, sur une petite vingtaine d'années, des mid-fifties aux mid-seventies, une incroyable explosion de créativité qui emporta la musique dite "populaire" et tout le reste avec - mœurs, modes de vivre et d'expression, mentalités et comportements sociaux, cinéma et arts plastiques - comme jamais auparavant.
Le rock pouvait lentement disparaître, il avait fait son œuvre.

Avril 73, donc.

Rayon disques, place aux enfants de Miles : McLaughlin, Tony Williams, Keith Jarrett trônent, instrumentistes surdoués aux compositions ébouriffantes et aux climats innovants. Miles n'a pas encore épuisé les charmes du dit "Jazz-fusion" ou "Jazz-rock" : quand il lui tournera le dos pour une énième révolution musicale de sa part, tout cela finira dans la froideur de l’exhibitionnisme d'une virtuosité sans âme.

Quelques dinosaures - Elvis à Hawaï,  Jerry Lee Lewis à Londres. Et d’authentiques joyaux - "Dark side of the moon," "Talking book," "Grand Hotel". Sans oublier Taj Mahal "Recycling the Blues and other related stuff" - pas une ride en cinquante ans. Rien d'autre.

Côté concerts, un show Motown Salle Pleyel - "hangar à l'acoustique détestable" selon un Paringaux énervé au spectacle de Junior Walker et des Temptations, sorte de "Frères Jacques du Soul" ( ! )... pour ceux à qui cette référence parle encore !

James Brown à St Ouen - quatre mille personnes "dont une proportion considérable d'Africains" - va écrire ça aujourd'hui sauf à aimer les lynchages des médias ! - pour un "défi à l'endurance ( ? ) mais moins passionnant que l'année précédente". Détail, pas de l'histoire, non, faut pas déconner : cette question de la télé française à un spectateur : "Cela ne vous gêne pas qu'il ait fait campagne pour Nixon ? ". N'avait pas le bon goût d'être maoïste le Jaaaames ...

Enfin l'exécution de Marc Bolan et son T. Rex, avant sa fatale rencontre avec un platane : "lamentable, bouillasse de bruit qui gicle de la sono... ce type ne sait pas chanter, pas plus qu'il ne sait jouer de la guitare - pauvreté de ses soli, incapacité à conserver le tempo... un bide définitif".
Dire que certains avaient vu en lui "le futur du rockn'roll"... le slogan devait resservir de l'autre côté de la mare...

Musicalement, plus rien de bien nouveau : papier sur Nice, traductions des textes bouffis de prétention poétique à la noix tirés de deux premiers albums de King Crimson. Quatre pages sacrifiées à Black Sabbath ( ! ), groupe de seconde division soumis au jugement des lecteurs...

Plus un papier de fond,  consacré à Winwood - il était temps ...: des débuts au sein du si mal dénommé Spencer Davis Group à même pas seize ans, aux aventures chaotiques et passionnantes de Traffic ... Winwood, peu auront un tel talent de musicien, compositeur, instrumentiste, chanteur comparable au sien... McCartney, Stills, John Cale, une poignée d'autres égarés ici et là... Al Kooper, Randy Newman...

Et une interview croisée Robert Plant / Roger Daltrey, gentille, vieillotte, conversation plus qu'interview, qui confirme ce qu'on pouvait penser de Plant - type bien, conscient du coup de chance que fut sa rencontre avec Jimmy Page suite au renoncement de Terry Reid de devenir le lead vocalist de Led Zeppelin, curieux de toutes sortes d'expressions musicales et pas seulement du blues -, et de Daltrey, plus... limité disons, blues freak lui aussi qui n'écoute plus que de la musique classique - enfin si l'on veut :  "J'écoute plus que tout le reste Albinoni" ! -,  ni parolier ni compositeur, donc Townshend-dépendant, avec pour tout horizon "les Who, encore les Who, toujours les Who"...

Pour le reste, un Hamster Jovial, victime collatérale d'un navet aujourd'hui bien oublié mais qui fit son petit scandale à l'époque - Themroc :



Un must qui en dit long, ici intégralement retranscrit, qui nous apprend que "Lou Reed est marié et morose; l'article de « Rolling-Stone » - sic - aussi d'ailleurs - morose je veux dire. Il y a juste un passage cocasse au moment où Andy Warhol - toujours lui - s'assied près de lui sur le sofa en balançant un Polaroïd entre ses genoux (sic. Ici, je pense qu'il s'agit des genoux de Warhol...). Il montre une photo à Lou.

«Je te la donne, tu peux... hum... la garder », dit Andy d'une voix hésitante.

«N'oublie pas de la signer, dit Lou comme ça Betty et moi on pourra la vendre et faire un peu de fric."

Cruauté et cynisme en garantissent l’authenticité.


Surprise enfin, avec un Garnier désertant l'Ouest américain et ses trips inter-continentaux, pour se poser à Berlin et délivrer une sorte de mini-guide de la ville, Guide du Routard condensé et au petit pied, politiquement ignare. Rien de grave : l'homme a des lettres, et écrit sous la double référence de Céline et de Lou Reed - les deux n'ont pas vu le même Berlin, on s'en doute...


« Je comprenais pas, mais peu à peu j'ai saisi... C'était une ville plus qu'en décors... des rues entières de façades, tous les intérieurs croulés, sombrés dans les trous... Pluie, soleil ou neige, Berlin n'a jamais fait rire, personne! Un ciel que rien ne peut égayer jamais. Regardez leurs visages, même leurs eaux, leur Spree... comme il passe, inexorable, lent, si limoneux, noir. que rien que de le regarder il couperait la chique, l'envie de rire à plusieurs peuples.

On le regardait du parapet, nous là, Lili, moi, Bébert...»

( L.F. Céline sur Berlin en 1944, "Nord" ).


In Berlin, by the Wall

You were 5 feet, 10 inches tall

It was very nice

Candlelight and Dubonnet on ice….

We were in a small café

You could hear the guitar play

It was very nice

Honey it was paradise...

( Lou Reed, Berlin ).


J'oubliais : le "Bricoles" du mois est excellent. Plus que cela. 

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