Secrétaires.

"Voyager, c'est bien utile, ça fait travailler l'imagination." 
Les images aussi, aurait peut-être ajouté Ferdinand. Peut-être ...

Ainsi Hopper et son "Office at Night", riche d'interprétations - comme toujours chez lui. Jo Hopper, qui pratiquait le loustic, l'avait bien évidemment noté dès l'origine - février 40 - dans ses notes : "White walls, electric light from ceiling ... Man in grey coat, blond hair. "Shirley" in red dress, white collar, flesh stockings black pumps & black hair & plenty of lipstick." ("Des murs blancs, sous une lumière électrique tombant du plafond, (...) un homme en costume gris, cheveux blonds. 'Shirley' en robe rouge, col blanc, bas chair, escarpins noirs, cheveux noirs, un peu trop de rouge à lèvres.") © traduction maison.

Heures supplémentaires nocturnes qui ne devaient probablement pas être TOUTES consacrées au travail. Shirley n'était sans doute pas QUE la secrétaire de l'homme blond - pas plus que la secrétaire de l'homme blond seulement, ... "plenty of lipstick"
La brune est le mal, le blond est pur (?). Salope arriviste - "flesh stockings"- versus blond fade sans avenir, cadre moyen qu'une épouse dévouée et fidèle attend dans leur maison de la banlieue new-yorkaise.

Américains moyens, destinées moyennes, sexe volé hors le traditionnel devoir conjugal du samedi soir. On pourrait bâtir un roman à partir de là. Ou un film... Dans les minutes qui suivent, une femme de ménage - on est en 1940, et la novlangue n'a pas encore imposé son "agent d'entretien ni son technicien de surface" - les surprend en plein péché, nous sommes dans une Amérique protestante donc puritaine. Affolement, meurtre de l'intruse, un Roger Corman vous monte ça - série B, qualité garantie - en deux temps trois mouvements. Clap de fin : Shirley assurera avoir été violée, le blondinet ira brûler en enfer après une brève station sur une chaise électrique.
Moralité sauve.


Edward Hopper, Office at night, 1940.

Bien sûr, Cartier-Bresson connaît le tableau. Et donc...
Vingt ans plus tard, New-York toujours. Bureau impersonnel, cadre un peu plus que moyen mais toujours pas supérieur, qui se demande bien ce que cache l'irruption de SA secrétaire qu'on devine érotique - allure qu'on devine décidée, bas prometteur - derrière le voile, bien sûr...
La méfiance, déjà, commande - toute tentative d'ordre sexuel pourrait compromettre une fin de carrière paisible. Et d'ailleurs, même si l'envie l'effleurait, le bureau est vitré et nous sommes en pleine journée - nine to five, rien d'autre.
Et même si..., bah, il pourra toujours s'en servir un de ces samedi soirs ...
Film et roman semblent ici plus aléatoires. 
Sauf à filmer l'ennui de la médiocrité des rapports humains.
N'est pas Antonioni qui veut...



Henri Cartier-Bresson, Manhattan NY, USA. (Bank officer and his secretary), 1960.

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