"Je n'ai vu que Cézanne"...

 ... ce vieil original qu'à Aix personne n'avait jamais pris au sérieux.
Il arpentait son atelier encombré de pommes vertes, ou bien, désespéré, il allait s'asseoir au jardin. Et la petite ville était, là, devant lui, ne se doutant de rien, avec sa cathédrale; la petite ville pour bourgeois modestes et comme il faut. Tandis que lui - comme son père, le chapelier, l'avait prévu - était devenu tout différent : un bohème, tel que son père l'avait vu et tel que Cézanne se voyait lui-même.
Ce père, sachant que les bohèmes sont voués a la misère et à la mort, avait résolu de travailler pour son fils; il était devenu une sorte de petit banquier à qui les gens confiaient leur argent  (« parce qu'il était honnête», disait Cézanne), et c'est grâce à cette prévoyance que Cézanne, par la suite, posséda le nécessaire et put travailler sans souci. 
Peut-être est-il allé à l'enterrement de son père; il aimait aussi sa mère, mais, lorsqu'elle fut inhumée, il ne vint pas. Il était sur le motif, comme il disait. Son travail était déjà si important pour lui qu'il ne souffrait aucun congé, pas même celui que sa piété et sa simplicité lui eussent sans doute conseillé.
Rainer Maria Rilke, Lettre à Clara Rilke, le 9 octobre 1907.


Ces bourgeois n'étaient pas tant "comme il faut" que comme il croyaient qu'il fallait se comporter pour être considérés comme tels. Atavisme.

Et pas si petits que ça... Bref, Aix était déjà Aix, et sans l'écraser de leur mépris, ces bourgeois-là l'ignoraient.

Cézanne, lui, s'en foutait : c'était un génie.



Gertrud Osthaus, Cézanne, Aix en Provence, 13 avril 1906.

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