Ilsa Lund, suite.

Tout le monde (enfin... passons), tout le monde a en mémoire la fin de Casablanca, le film.
Rick / Humphrey Bogart a donc fini par céder et permet le départ pour Lisbonne de son ancienne maîtresse Ilsa Lund / Ingrid Bergman et de Victor Laszlo, son époux, résistant pourchassé par les autorités françaises.
Il bénéficie dans cette entreprise de l'aide de Louis Renault, capitaine fidèle à Vichy, lequel, sentant le vent tourner, le couvre alors qu'il vient d'abattre un officier allemand en donnant l'ordre d'arrêter les "usual suspects", qui seront fameux un jour lointain sous d'autres cieux...
L'avion décolle enfin vers Lisbonne. Renault, à la virginité toute neuve de "français libre", décide de sceller son amitié naissante avec Rick, et lui propose de rejoindre les FFL à Brazzaville.
"Louis, I think this is the beginning of a beautiful friendship" : le cynisme de l'un ne peut que rencontrer l'opportunisme de l'autre. Pour une carrière pleine de promesses dans une Afrique pour un temps française riche en promesses et loin des inévitables tumultes de la future libération...
Se clôt là-dessus le chef d'oeuvre de Michaël Curtiz. Tout est sauf : l'amour, l'amitié, le couple, la France.

Mais quid d'Ilsa Lund ?
Nous l'avons quittée dans un coucou en partance pour Lisbonne, à destination finale sans doute des États-Unis. Puis plus rien.
Et si..

Le couple s'installe à New-York. Jusqu'à la fin de la guerre, le combat contre le nazisme les accapare.
Puis arrivent la victoire et la banalité des jours d'un couple désormais banal. L'absence de berceau, la nostalgie de l'Europe, le non-dit de la dette envers Rick, plus présent que jamais, l'ennui, l'oeuvre du temps : tout est en place pour la rupture, voeu secret des deux protagonistes. "It's still the same old story..."
Victor Laszlo repartira dans sa Tchécoslovaquie natale, y deviendra un dirigeant respecté jusqu'à ce que les Soviétiques mettent un point final à sa carrière.

Pas de retour en Norvège pour Ilsa : Rick n'a aucune raison d'y mettre les pieds un jour, et s'il doit quitter ses boîtes de nuit africaines, ce sera pour l'Amérique.
D'un de ces tristes week-ends avec Victor, elle avait gardé le souvenir d'une belle et simple bicoque à Cape Cod, à l'écart de paisible bourgade de Truro. Elle s'y installe en 1948, dans une solitude totale à peine troublée par la visite du livreur de l'épicerie locale ou du facteur. À la recherche de la paix avec pour compagnie le jaune des blés couchés par le vent quasi-permanent qui précipite les nuages vers l'Atlantique sous un bleu parfois angoissant de perfection.
Souvent passe un homme de grande taille, portant un chevalet pour saisir champs et maisons, cieux, phare et flots. Son élégance et sa distinction ne vont pas sans une courtoisie qui lui fait toujours saluer Ilsa d'un léger signe de la tête, un instant dépourvue de son éternel chapeau marron, sans jamais toutefois lui adresser la parole.
Un jour viendra pourtant, bien des mois après, qui le verra se diriger vers elle après une légère hésitation, pour solliciter l'autorisation de poser son attirail au milieu des herbes folles et de peindre sa maison.
Surprise - elle n'avait jamais songé à un intérêt artistique de la bicoque - elle accepta néanmoins :
- "Faîtes donc, Monsieur ...? "
- "Hopper. Edward Hopper. Merci beaucoup. Vraiment. Je ne vous dérangerai pas".
Il s'installa donc, Ilsa allant vaquer à ses occupations à l'intérieur.

Plus tard dans la matinée, elle revint s'encadrer dans la porte d'entrée sous un soleil printanier et un ciel aux rares traînées de coton blanc. Cette posture lui était familière et facilitait ses rêveries faites d'une chanson, qu'elle n'avait d'ailleurs jamais demandée à Sam de jouer à nouveau - "Woman needs man and man must have his mate, that no one can deny..." et d'un éternel espoir d'une venue de Rick.
Qui, pas plus que les autres jours, aujourd'hui ne viendra. Ni jamais.

Elle ne revit plus M. Hopper, sinon au loin, cheminant sur la petite route, toujours encombré de son chevalet. Ni aucun de ses tableaux d'ailleurs.

M. Hopper nommera sa toile "High noon". Peinte en 1949, elle demeure le seul témoignage du séjour à Truro d'Ilsa Lund. "You must remember this..."

Les historiens affirment cependant qu'Edward Hopper n'eut jamais d'autre modèle que son épouse Jo. Et que c'est donc elle qui se tient rêveuse, dans cette ouverture dont elle dévore l'espace.
Mais faut-il toujours faire confiance aux historiens ?

"Moonlight and love songs, never out of date..."


Courtesy of edwardhopper.net














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