Pisse Brother...


"En face des remparts, à cent pas de la ville, l’îlot du Grand-Bey se lève au milieu des flots. Là se trouve la tombe de Chateaubriand ; ce point blanc taillé dans le rocher est la place qu’il a destinée à son cadavre. 
Nous y allâmes un soir, à marée basse. Le soleil se couchait encore sur le sable. Au pied de l’île, les varechs dégouttelants s’épandaient comme des chevelures de femmes antiques le long d’un grand tombeau. 
L’île était déserte ; une herbe rare y pousse où se mêlent de petites touffes de fleurs violettes et de grandes orties. Il est sur le sommet une casemate délabrée avec une cour dont les vieux murs s’écroulent. En-dessous de ce débris, à mi-côte, ion a coupé à même la pente un espace de quelques dix pieds carrés au milieu duquel s’élève une dalle de granit surmonté d’une croix latine. Le tombeau est fait de trois morceaux, un pour le socle, un pour la dalle, un pour la croix. 
Il dormira là-dessous, la tête tournée vert la mer ; dans ce sépulcre bâti sur un écueil, son immortalité sera comme fut sa vie, déserte des autres et entourée d’orages. Les vagues avec les siècles murmureront longtemps autour de ce grand souvenir ; dans les tempêtes elles bondiront jusqu’à ses pieds, où les matins d’été, quand les voiles blanches se déploient et l’hirondelle arrive au-delà des mers, longues et douves, elles lui apporteront la volupté et la caresse des larges brises. Et les jours ainsi s’écoulant, pendant que les flots de la grève natale iront se balançant toujours entre son berceau et son tombeau, le cœur de René devenu froid, lentement, s’éparpillera dans le néant , au rythme sans fin de cette musique éternelle. 
Nous avons tourné autour du tombeau, nous l’avons touché de nos mains, nous l’avons regardé comme s'il eût contenu son hôte, nous nous sommes assis par terre à ses côtés.
Le ciel était rose, la mer tranquille et la brise endormie."
Gustave Flaubert, Par les champs et par les grèves. 


Des remparts de Saint-Malo, comment ne pas rendre une petite visite à Chateaubriand sur son rocher...
Une forme d'hommage en souvenir des riches heures passées à lire ses Mémoires d'outre-tombe, il y a des lustres.
Je n'avais pas en tête cette page de Flaubert, à peine une vague impression...
Puis me suis rappelé que, du haut de sa grandeur, M. Sartre, petit-bourgeois replet en promenade avec sa daronne, avait cru bon pisser sur cette tombe. Qui n'était plus vacante.
Ce type était décidément un révolutionnaire, un vrai.



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