Rock & Folk, 50 ans après. Épisode IX.

Mars 2023 : À la une notamment, Jeff Beck et David Crosby - pour d'évidentes raisons.

Février 1973 : 



Le cher vieux magazine les évoque tous deux : l'anglais, "chemise ouverte et cheveux courts", pour le compte rendu d'un concert de Beck, Bogert & Appice donné au Tower Theatre de Philadelphie. Titre du papier : "Le Mec Beck". Commentaire du tâcheron sur place : "Il est toujours le grand Jeff Beck, pas de doute". 
Concernant El Becko, nul de doté d'une paire d'oreilles en état de marche et d'un certain goût n'a jamais douté de rien, amigo. Jamais.

Et Crosby, pour une traduction... française dira-t-on, de textes du temps des Byrds, de CSN, et de son premier LP solo. Enfin, solo...
J'ai vu les deux sur scène : le premier m'a laissé un souvenir inoubliable - et pour mon plus jeune fils un T-shirt signé, toujours dans son placard et jamais lavé depuis ! -, le second l'amertume tristounette d'un concert tardif à l'Olympia il y a une dizaine d'années, mous et vieillis en dépit des efforts de Stills pour faire croire que...
Mais quelle (s) voix !

Puisque nous sommes dans les Live et qu'il faut bien rigoler un peu, un concert de Catherine Ribeiro - affublée du qualificatif de "Sainte" donné "en la Cathédrale de Sainte Gudule" - souvenirs ... - de Bruxelles. Beau comme du Léon Zitrone : " Une foule immense se serrait frileusement dans la grande nef. Les arches centenaires n'avaient sûrement pas contemplé une telle piété, un tel recueillement depuis des lustres"
Pas suffisant. Encore un coup d'encensoir : "Il est bien étonnant que ces gens qui planent si haut "- la "Sainte" et son groupe... -, "avec tant de chaleur et de force ne rencontrent pas chez nous plus de succès que le Pink Floyd".
Toujours pas. "La cathédrale de Bruxelles n'avait sans doute pas entendu de message plus intense, plus direct et plus vrai depuis bien longtemps".
Encore une couche ? Dans la recension du dernier LP en date de la Sainte et son gang alors :  "ce détournement du style évangélique est une étonnante réussite, soulignée par les accents "churchy" de l'orgue, dont la sonorité évoque par intermittences certains grands moments incantatoires du Pink Floyd". Ouf ! Évités les fameux "flamands roses"!

L'air concon du type - moi - qui entre pour acheter un magazine rock, et ressort avec une sorte de "Pélerin Magazine" !

Tu auras compris, lecteur ébahi : on n'a pas à faire à un numéro très rock n'roll. Mais bon, le meilleur sera pour la fin... En attendant :

Tête de gondole : Tommy. Revisité par Hamster Jovial sur un mode onirique / prout assorti de torgnoles bien senties ( ! ) sinon méritées :


Revisité par son Papa, en grande pompe et au Rainbow Theater de Londres, après refus de Royal Albert Hall. L'hubris de Townshend, appuyé par un casting local - Winwood, Rod Stewart, Peter Sellers, Maggie Bell -, encensé - décidément... - par un critique pas très rock :  Ainsi, "l’œuvre recevrait une consécration officielle, prenait place dans la culture musicale du pays aux côtés de Josef Haydn ( ! ) et Franz Von Suppé ( !! )"
Que venaient donc faire ces deux compositeurs issus de l'Empire autrichien dans la dite "culture musicale du pays " ? Insondable mystère !
Peu importe, le couperet tombe : "c'est du music-hall, pas de l'opéra". 

Puisqu'on est dans l’anachronique et le rigolo, cette confession de David Bailey : " J'ai failli faire il y a dix ans" - en 1962 / 63 donc !!!! - "Orange mécanique avec Andy Warhol et les Stones". À se demander si celui qui a recueilli le scoop a bien compris et / ou si le traducteur, à son tour, ...
N'importe, on l'a échappé belle !

Pause cinoche avec une double page sur Pierre Clementi, après sa libération des prisons italiennes. Festival de clichés et lieux communs  -"l'Art est au service du peuple", "il y a des milliers et des milliers de Christs en Occident", mais toujours le même crève-cœur en songeant à la trajectoire d'un type si doué, si charismatique, l'errance du Guépard de Visconti aux pathétiques navets de Philippe Garrel, supports d'une "quête spirituelle" de pacotille qui virent également le naufrage de Nico.

À noter le troisième volet de la série consacré aux Comix US - mention spéciale pour Spain Rodriguez.

Rayon galettes de vinyl, rien de bien affriolant : un Joe Cocker qui a entamé sa descente - "Something to say", disque honorable ré-écouté pour l'occasion; des anglais de seconde division - Spooky Tooth, Deep Purple, et même troisième - Gentle Giant !; un wagon de gentils californiens - Joni Mitchell, Carly Simon et son immense bouche,  Poco, Loggins & Messina; et une merveille : le "Holland" des Beach Boys, époque Fataar / Chaplin avec, ou plutôt sans, un Brian Wilson plus que sur la touche.

Quelques perles du côté des "imports Givaudan", porteurs de rêves : Stones, Smokey Robinson - défini comme "le plus grand poète du rock" par Dylan himself -, Marilyn, oui la Monroe..., même. 

Musique encore, avec la suite du dossier sur "les nouveaux prophètes de la Soul" - au générique, rien moins que Curtis Mayfield, Isaac Hayes, Marvin Gaye, Al Green ou les Meters.

Six pages chiantissimes sur le "Rock allemand", reflets fidèles de ce courant musical en somme : lourdaud, patapouf, "expériences et recherches sonores" qui vont de pair avec un "soubassement politique, théâtre musical qui emprunte à Brecht et Kurt Weil - du flan bien sûr - pour, what else ?, "dénoncer la société capitaliste". 
Tout cela à partir de Berlin-ouest, bien sûr... Berlin-est, le mur, les Vopos ... Connaissent pas manifestement.

On passera vite fait sur un épuisant papier sur Alan Stivell, "Breton qui a mis de la pop dans son folk" ( ?). Daté, poussiéreux, ringard limite niais.

On aura bien mérité notre récompense : un très beau cahier-photos d'une dizaine de pages sur Hendrix, période 67-68. Une interview canon de Chuck Berry, sa vie, son œuvre traduite du Melody Maker anglais.
Extrait :
-" Bien des gens n'ont jamais pu deviner si Maybelline est une voiture ou une fille".
- " C'est exact. Bien des gens ont fait cette erreur. Maybelline était définitivement une jeune fille dans la chanson. Le nom  vient de la seule Maybelline que j'aie jamais connue, une vache avec une cloche à son cou".
Toujours sympa et avenant le Chuck, de passage à Londres pour enregistre avec la crème des musiciens anglais du moment.
Ce qui ne l'émeut pas plus que ça : "Ça aurait pu être des types trouvés n'importe où. Je ne les connaissais pas et ne reconnaissais pas leur jeu. Même aujourd'hui, je ne pourrais pas vous citer le nom de ces types".

Quid des piliers du magazine ?

Yves Adrien ne se foule pas : quatre pages sur les Flamin Groovies. Groupe sympathique mais secondaire, certainement pas the next big thing;

Philippe Garnier, sur une seule page, introducing Wolman Jack - "Dis is Wolfman Jack, do you understand ?", DJ de légende dont la tchatche inonde l'est de l'Europe, "de l'est de Nancy à Berlin" à destination des garnisons US sur le continent, "le dernier des disc-jockeys hurleurs, une sorte de derviche des ondes". Bref, "la voix la plus étonnante de toute l'industrie".
Car oui, naïf lecteur de Rock & Folk, le Rock que tu aimes tant, c'est ça - aussi, surtout ? - : une in-dus-trie ! En français, un business !

Et tant qu'il y est, Garnier, autant dézinguer le petit monde réjoui des radios françaises : "Nous sommes passés imperceptiblement de Filipacchi en Lancelot, c'est à dire de l'exploitation franche et brillante des teenagers à un entubage plus subtil, plus morne et révoltant à la fois, qui se veut humain, le zinzin intelligent".
Mais le Pop Club alors ? "Il est probablement devenu un modèle du nouveau conformisme, voix d'aérogares, spécialistes chiants et cultivés, jamais d'outrance... quelque chose à mi-chemin entre le bâillement et le divan du psychiatre". 
Fermer le ban.

Paringaux enfin. Outre ses mensuelles "Bricoles", un article fleuve - "Le temps des Vespas", tout un programme -, confessions retravaillées du one and only Dick Rivers. Tout y est, de Nice à Paris, les sixties françaises côté coulisses. 
Incipit : "Des regrets ? Aucun. Qui peut mener une vie comme celle-là à quinze ans et demi ? A cet âge j'ai connu les palaces et les cars de flics, les filles qui se griffent la figure et les Cadillacs, quinze mille personnes en délire. En ce temps-là je pouvais dire « "votre gala j'en ai rien à foutre, gardez-le", et c'était merveilleux. L'argent ? J'ai payé mes impôts avec, ça me suffit. Ce n'était qu'une année de mon adolescence, et un grand souvenir."

Grand souvenir pour moi aussi, les Chats sauvages... Mon premier concert de rock. Je n'avais pas dix ans. La foire de Bastia se tenait sur la Place St Nicolas. Gala tous les soirs avec, en guise de scène, le kiosque à musique. J'avais tanné mon père pour qu'il m'accompagne. Il l'a fait, est reparti illico au Café Riche pour jouer aux cartes, pour venir me chercher une heure après.

Le lendemain, j'ai tanné ma mère pour dix francs, le prix d'un EP des Chats à la pochette rouge ornée d'un dessin de Siné. Je l'ai toujours : on y parlait de "Kennedy, Kroutchev et Mc Millan." 

Toute une époque.


J'allais oublier. Le cher vieux magazine, qui ne reculait devant pas grand chose, indique l'adresse à Paris, au 126 rue d'Aboukir, 75 002, du "Front de Libération de la Rock Music". 😂😂😂

Je pense que ce truc n'existe plus. Même s'il a dû faire l'objet de quelques subventions. Rock en France...





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