Rock & Folk, 50 ans après. Épisode X.

Numéro tristounet que celui de mars 1973, avec cependant deux / trois choses intéressantes, i.e. qui ont survécu au temps.

Une absence tout d'abord, celle d'Yves Adrien, "empêché, qui n'a pu fournir ses textes ce mois-ci". Et le cher vieux magazine, courtoisie exquise en ces temps, de s'en excuser...

Mais permanence de Gotlib, et son Hamster Jovial aux prises avec ses éternels questionnements : 


De Paringaux - un "Bricoles" fitzgeraldien sur fond d'inceste frère/sœur : "Appuyé à la balustrade, il lui tourne le dos et se tient immobile, un genou élégamment cassé, le bout de son soulier gauche piqué dans le dallage de marbre (faux, fabriqué si blanc par les ouvriers noirs de Chicago). Costume immaculé, découpe ses plis nets et frais contre l'herbe où s'emmêle le soir, un trait de fumée s'échappe d'une main invisible. C'est ainsi depuis longtemps, depuis le soleil et les cris des joueurs de tennis, et elle est un peu ivre. Parfois elle fait tourner ses yeux, comme pour enfermer la silhouette impeccable dans la prison d'amour que trace son regard en rond (sol en marbre, plafond d'étoiles s'il demeure une heure encore). (...)

- "Si tu savais comme la mer est belle le soir, dans la lumière des paquebots...

- Je suis allée en Europe trois fois déjà. La dernière fois, nous avons fait le voyage ensemble. L'océan Atlantique, c'est bien une mer, n'est-ce pas ?

- Sans doute. (Le mention enfoncé au creux de son épaule, visage brun dans la toile blanche.) Je devais regarder ailleurs."

Ironie contre ironie, l'heure bleue est passée subrepticement entre la dame en vert et l'homme en blanc. Moins tendre est la nuit.


Et de Garnier, en grande forme et en roue libre ( ! ) avec un maître-article - "Le Rock du Routier" - "hommage à une culture que l'on croyait ennemie ( ? - parce que supposée réac, "de droite" ) à partir d'un disque d'un groupe largement ignoré en France ( réac ? "de droite" ? ) mais plus qu'estimable, j'ai dit celui de Commander Cody and his lost Planet Airmen. Remarquez qu'avec un nom pareil...

Bref, "le routier est l'homme du jour dans la mythologie du rock. (...) Après le pusher-man, la science-fiction, le travelo et l'homme au champ, le rock des Mange-Bitume ?" 

Et pour que les choses soient claires, que torchons et serviettes soient bien distinguées, Garnier flingue au passage la country music - "le Grand Ole Opry et ses bondieuseries, (...) et les jérémiades de roman-photo" - pour en arriver aux routiers, "grands consommateurs de musique".

Le "trucker" donc, qui "a peu à voir avec "la vision nettement paranoïaque de Dennis Hopper dans "Easy Rider". 

Et d'embrayer sur les aventures de Garnuche qui traverse le Montana en stop, dans l'Illinois.

Le routier, emblématique de "la Route, "lieu de rencontre de deux cultures théoriquement ennemies - l'American Way et le New Age.  

Et l'on sait que depuis Dylan, le rock a été le grand moule à fondre toutes les mythologies"...

Faudrait citer l'intégralité d'un tel article... On se bornera à signaler que figurent au générique Kristofferson, Johnny Cash, les Byrds, le Dead, Little Feat - " Lowell George qui joue de la guitare comme on joue du rasoir" - et même Berthe Sylva !

Si vous aviez un jour voulu tout savoir sur "le Rock du cambouis", vous étiez à la bonne adresse, assurément.


Pause comique avec le compte-rendu d'un concert de Chuck Berry, dont le narrateur n'a "pas bien compris si c'était punky ou décadent " - 🤔 - car "on ne peut pas dire que les conditions idéales soient réunies pour un concert de rock avec une chouette ambiance de participation et de communication entre les musiciens et les gens - 😎.

Un "trucker" rempli de bière et autres substances aurait pu aisément lui expliquer sa conception d'un "rock participatif"...


Une réjouissante curiosité oubliée, à une époque où l'on n'évoquait pas la notion de "politiquement correct" qui néanmoins faisait déjà des ravages : cette "charte de l'humoriste indépendant" due à Goscinny et parue dans Pilote, petit régal avec le recul : 



Et une perle, illustration involontaire d'un papier de cinq pages - " Et pourtant ils chantent"- sur de malheureux chanteurs français bannis des ondes, écrasés par des "chansons en langue anglaise" - des noms ? : Jean-Max Brua, François Béranger, Jacques Bertin, Jacques-Emile Deschamps, David McNeil et Pierre Barouh - qui en dit long sur les revendications corporatistes et franchouillardes des défenseurs de "la chanson française", les choses n'ayant pas du sensiblement évoluer avec le temps dans ce domaine.. Ça aurait pu être signé par le Front National de l'époque ou son prédécesseur...




On déroule avec le dernier volet de la série sur le "renouveau de la Black Music ", avec une large part pour la Motown - Temptations, les immenses Marvin Gaye et Stevie Wonder - et Curtis Mayfield;

Et le quatrième et dernier volet du feuilleton sur les Comix - Crumb, bien sûr, et tout un underground florissant :



- On parle un peu de rock ? Six pages sur Amon Düül 2 .
- J'ai dit ROCK !... Ok Ok...

Cinq pages sur Ten Years After et interview à l'occasion d'un concert à l'Olympia. Alvin Lee, belle gueule et guitariste le plus rapide à l'ouest de la Tamise. Sur le déclin, déjà, le Blues Boom anglais est derrière nous, Led Zeppelin, les Who et les Stones planent. Avec le déclin, l'amertume : "Bowie et Alice Cooper, c'est une honte, T. Rex est un coup commercial... Tout cela est un système de gimmicks". 
Mais bon, il n'avait sans doute pas tout à fait tort pour Alice et T. Rex...

Quatre pages sur un des groupes que j'aurais le plus détesté au long de toutes ces années - avec U2, bien sûr : Genesis, avec son chanteur - "L'ange Gabriel" ( ! ) - avant la prise du pouvoir par Phil Collins, qui aura largement contribué à achever le rock et son esprit avec son succès planétaire de chanteur et producteur au cours de la décennie suivante.
Il fut même à deux doigts d'avoir la peau de Clapton, c'est dire !
Clapton justement. Remis en selle et sur scène par Pete Townshend qui organise un des plus fameux concerts de rock de l'histoire : celui du Rainbow Theatre à Londres. Deux concerts en fait, à la même date, le 13 janvier 1973.
But : opération caritative d'ampleur pour sauver la peau de God, au fond du fond du trou. Moyens : d'ampleur, et casting somptueux : comme aurait pu dire Jean- Claude Brialy, tous ses amis étaient là, de Winwood à Ron Wood. Seul manquait à l'appel George Harrison.
J'ai écouté à l'user le LP sorti à cette occasion. Son dégueulasse, amputé de plus de la moitié des titres interprétés. Mais Clapton était donc toujours en vie, voilà qui pouvait suffire.
Les éditions postérieures, officielles et pirates, seront d'une toute autre qualité, à la hauteur de ce que furent ces deux concerts.

Plat de résistance : huit pages sur Neil Young. Aurait-il arrêté sa carrière en 73, le canadien aurait déjà bénéficié d'un statut de légende du rock. Tout y était : le look, la voix, les talents de compositeur, chanteur et guitariste tout à la fois et largement au-dessus du panier rock du début des seventies. Personne ne pouvait sérieusement le concurrencer en ces temps, et le succès mondial de CSN&Y n'était en rien un handicap, bien au contraire.
Les années horribles avec le Vocoder allaient suivre dans les eighties, comme  pour un peu tout le monde en fait. Il les surmonta, en dépit d'un trop fréquent ton pleurnichard et moralisateur pénible.
Mais de 68 à 75, pratiquement rien n'est à jeter. Et toujours hautement recommandé.

Rayon disques, bof ! bof ! bof ! Ry Cooder, une anthologie Chess et une compilation Little Richard époque Speciality. Pour le reste, le tout venant de l'époque : Elton John, Rita Coolidge - qui perdra des fortunes en se faisant arnaquer par un de ses mecs / macs, Jim Gordon, batteur d'exception et salopard du même tonneau, qui s'attribua les droits d'auteur de la partie piano du Layla de Clapton, composé par Lovely Rita. La vie est bien - ou mal - faite : il étrangla sa mère, passa seize ans en asile avant de finir, épave, la semaine dernière...

Côté imports par contre : la découverte de J.J. Cale - le magazine prévient l'auditeur français : ne pas confondre avec John Cale, comme si..., mais réflexion faite, précaution pas si inutile... -, Traffic, Clapton sous les habits de Derek, les enfants de Miles, McLaughlin et son Mahavishnu, Tony Williams Lifetime, Little Feat, Kinks, Steppenwolf. Annoncés : Procol Harum, Led Zeppelin. 
Même la parution d'un double-album de Yoko Ono ne parvint pas à nous faire bouder notre bonheur. C'est dire...

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