"Je n'ai vu que Cézanne"...
... ce vieil original qu'à Aix personne n'avait jamais pris au sérieux.
Il arpentait son atelier encombré de pommes vertes, ou bien, désespéré, il allait s'asseoir au jardin. Et la petite ville était, là, devant lui, ne se doutant de rien, avec sa cathédrale; la petite ville pour bourgeois modestes et comme il faut. Tandis que lui - comme son père, le chapelier, l'avait prévu - était devenu tout différent : un bohème, tel que son père l'avait vu et tel que Cézanne se voyait lui-même.
Ce père, sachant que les bohèmes sont voués a la misère et à la mort, avait résolu de travailler pour son fils; il était devenu une sorte de petit banquier à qui les gens confiaient leur argent (« parce qu'il était honnête», disait Cézanne), et c'est grâce à cette prévoyance que Cézanne, par la suite, posséda le nécessaire et put travailler sans souci.
Peut-être est-il allé à l'enterrement de son père; il aimait aussi sa mère, mais, lorsqu'elle fut inhumée, il ne vint pas. Il était sur le motif, comme il disait. Son travail était déjà si important pour lui qu'il ne souffrait aucun congé, pas même celui que sa piété et sa simplicité lui eussent sans doute conseillé.
Rainer Maria Rilke, Lettre à Clara Rilke, le 9 octobre 1907.
Ces bourgeois n'étaient pas tant "comme il faut" que comme il croyaient qu'il fallait se comporter pour être considérés comme tels. Atavisme.
Et pas si petits que ça... Bref, Aix était déjà Aix, et sans l'écraser de leur mépris, ces bourgeois-là l'ignoraient.
Cézanne, lui, s'en foutait : c'était un génie.
Gertrud Osthaus, Cézanne, Aix en Provence, 13 avril 1906.

Aujourd'hui, Cezanne est pire qu'ignoré, ou méprisé, par ceux qu'ils qualifiaient de "culs" dans une de ses lettres : sans surprise, il a été transformé en produit commercial, en moyen d'augmenter "l'attractivité" de cette sous-préfecture. Les années passent mais les aixois n'ont rien cédé, en terme de vulgarité simple et de jobardise, à leurs prédécesseurs.
RépondreSupprimerPierre
J'aime trop cette ville qui est - un peu... - la mienne pour adhérer entièrement à votre propos. Reste que Cézanne est en effet un puissant produit d'appel pour une cité qui avait une tendance naturelle à une certaine somnolence. Quant à la jobardise et à la vulgarité de la bourgeoisie, elle peut aisément se vérifier en tous temps et tous lieux depuis son émergence... Le prix à payer pour être le moteur de l'histoire - l'agent révolutionnaire qui a mis fin au féodalisme et à la monarchie dirait un certain barbu ! 😉
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