Mon père et Bukowski.

- C'est quoi cette cochonnerie que tu lis ?
- Pas une cochonnerie ... C'est un peu le Céline américain... un grand écrivain... tu connais pas...
Mon père, dubitatif, feuilleta très vite le bouquin, puis le reposa sur la table.
- Tu n'as que ce genre de livre à lire ?
Ça s'arrêta là. 
Je ne sais pas ce qu'il avait imaginé... sans doute l'histoire d'un vieux salaud qui faisait la sortie des écoles avec son imper... Personne ne connaissait Hank, c'était bien avant le scandale d'Apostrophes...
Moi, c'est évidemment Garnier qui me l'avait amené... qui d'autre ?

La littérature et mon père, ça faisait deux. Son truc, c'était les livres politiques ou d'histoire. Et encore, pas tous...
Mais Céline, ça lui parlait. Il l'avait découvert et lu pendant son très long service militaire, à la bibliothèque de son régiment dont on lui avait confié la responsabilité puisqu'il avait le bac ! On avait sans doute estimé qu'il savait lire et écrire donc...
Et puis il aimait bien Ferdinand, ses ennuis après la libération, et sa façon qu'il avait d'envoyer chier le monde.
Pourtant, il ne l'avait plus lu. Ou de loin.

Figurez-vous qu'à la bibliothèque, ils avaient Mort à crédit et Bagatelles... Et pas Voyage...
Elle ne devait pas être tenue si bien que ça cette bibliothèque... l'armée...
Et donc, un jour, vers la fin, juste quelques semaines avant de mourir, mon père m'a demandé de lui prêter Voyage.. J'avais choisi l'édition Gallimard / Futuropolis illustré par Tardi. Les images, la taille des caractères... 
Il l'a lu. Tranquillement, en prenant son temps. Et refermé.
Puis un jour, m'a simplement dit : tu vois, j'aurais pas voulu mourir sans l'avoir lu ...
Depuis, j'ai très souvent repris Voyage.
Jamais avec cet exemplaire. Que je n'ai plus ouvert.
Et c'est bien comme ça.
Je suis certain que lui n'a jamais lu une ligne de Bukowski !





























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