Refuge en montagne.

Si l'on songe aux germes primitifs du sens artistique et si l’on se demande quelles sont les différentes sortes de plaisir engendrées par les premières manifestations de l'art, par exemple chez les peuplades sauvages, on trouve d'abord le plaisir de comprendre ce qu’un autre veut dire; l'art est ici une sorte de devinette qui procure à celui qui en trouve la solution le plaisir de constater la rapidité et la finesse de son propre esprit. 
Ensuite, (…) l'on trouve la jouissance ( ... ) dans la victoire sur l'ennui. 
D'une sorte plus subtile est la joie qui naît à l'aspect de tout ce qui est régulier, symétrique, dans les lignes, les points et les rythmes : car, par une certaine similitude, on éveille le sentiment de tout ce qui est ordonné et régulier dans la vie, à quoi l’on doit seul tout bien-être : dans le culte de la symétrie, on vénère donc inconsciemment la règle et la belle proportion, comme source de tout le bonheur qui nous est venu; cette joie est une espèce d'action de grâce. 
Ce n'est qu'après avoir éprouvé une certaine satisfaction de cette dernière joie que naît un sentiment plus subtil encore, celui d'une jouissance obtenue en brisant ce qui est symétrique et réglé; si ce sentiment incite, par exemple, à chercher la raison dans une déraison apparente : par quoi il apparaît alors comme une sorte d'énigme esthétique, catégorie supérieure de la joie artistique mentionnée en premier lieu.

Fr. Nietzsche, Humain, trop humain, Livre II, 119, Sources du Goût. 




Commentaires

  1. Rhââ, il est fortiche, le Freddie. Ce passage m'avait échappé.
    Pas étonnant qu'un jour, le lisant, s'est produit l'étincelle qui a allumé en moi ce modeste brasero ; à quoi, à l'occasion, je me chauffe la main, et dont la discrète lumière, comme un badigeon fugace, me fait apercevoir. Et tant de choses... C'est presque toujours trop beau, trop sagace. Quelle force là-dedans. Mais la note aura été salée.

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  2. La lecture de Nietzsche, à condition de conserver une certaine distance, est d'une richesse infinie. Le rire y a, plus qu'à son tour, sa place.

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