Crumley & Milo, héros fatigué.

Retrouvailles d'un vieux copain négligé depuis quoi.. vingt-cinq ans ?
Fin des eighties : Philippe Garnier - qui d'autre ?- me fait découvrir James Crumley : un bonheur de plus dont je lui suis redevable. Dans les années qui suivirent, l'ours, qui ne demandait rien à personne, surtout pas en France, se vit consacré emblème, héraut d'une école littéraire dite du Montana : ça tombait bien : il était écrivain, et bien que natif du Texas, vivait dans le Montana.
Seul problème : cette école n'a jamais existé que dans les fantasmes des communicants qui ont refourgué le concept à une critique dite littéraire paresseuse, certes diplômée mais globalement inculte. Tenons tous les écrivains enrôlés sous cette douteuse bannière, au seul motif d'une unité de lieu et de temps les réunissant, pour ce qu'ils sont tous : excellents. Exeunt donc James Lee Burke, Robert Simms Reid et tutti quanti. On les reverra...
Cas à part : Jim Harrison. Excellent, aussi, grandiose parfois, surtout dans ses premiers opus. Et qui eut sur tous les autres l'avantage (?)  d'être rapidement sanctifié par la mafia littéraire parisienne au nom d'un politiquement correct fait de vulgate écologiste, d'anti-américanisme pavlovien, bref une critique dite de gauche du sempiternel rêve américain. Il ramassa donc la mise médiatique et financière.
Le malheureux, qui n'en pouvait mais et s'en foutait même dans la mesure où cela lui ouvrait grand les tables réputées de la gastronomie française, paya le prix fort : il devint emmerdant. Rideau.

Crumley, lui, dut se contenter d'être le plus original et le plus talentueux. Le plus branleur aussi. Le préféré de ceux qui préfèrent les livres aux (im)postures médiatiques.
Il se voit aujourd'hui réédité par la grâce d'un jeune inconscient, Oliver Gallmeister, qui a le culot de se vouloir éditeur et pas seulement vendeur de limonade : il édite donc. De vrais livres, américains de surcroît ! Détenteur de droits de l'oeuvre de Crumley, il se lance dans une politique de réédition, commençant, original, par Fausse Piste, datant de 1975, premier des romans où surgit, hénaurme, un des deux héros récurrents du texan : Milodragovitch (le nom déjà ...), Milton de son prénom. Dit Milo. Pour les fans et les intimes.
Nouvelle édition, nouvelle traduction. Nouvelle trahison peut-être... Dès la page 37, saute aux yeux une "liasse de chèques de voyage" (sic)... Travellers aurait été plus évocateur, moins calamiteux en tous cas. Passons.

Les communicants n'abandonnent jamais eux. Et continuent à fournir en inepties une critique de plus en plus flemmarde. Ainsi Chandler se voit affublé d'un énième héritier "version destroy" (!) tandis que Marlowe observe, las, l'irruption d'un Milo, improbable Privé de l'ère post-Vietnam. Soupir.
Un point commun cependant entre les deux héros: grosso modo le même code moral, qui en fait des personnages kantiens dans un monde dépourvu de toute illusion sur la nature humaine et sur une éventuelle Providence. Une sorte de Jimmy Stewart / Ransom Stoddard de l'homme qui tua Liberty Valance : l'éthique certes, mais amputée du rêve, américain naturellement.
Pour situer, à mi-chemin entre Marlowe et Milo, et pour rester dans cette galerie de héros définitifs, The Dude du Big Lebowski. Ce mythe...
Et ce qui était absent chez Marlowe, au sourire de lèvres gercées de Bogart, c'était ce rire si fréquent, jouissif, décapant chez Milo, puis plus tard chez son alter ego, le dénommé Chauncey Wayne Sugrhrue dit C.W.
Un imaginaire qui n'a rien à voir avec le tout-venant de la production - ce mot !- littéraire courante. Rien que pour ça...





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