Machiavel , le plaisir.

Le cher Machiavel n'est ni machiavélique ni machiavelien, on commence peut-être à le savoir. D'ailleurs c'est sans importance réelle : des gens croient bien qu' Épicure est épicurien...

Ça tombe bien :  épicurien, Machiavel l'est. Pas hédoniste, épicurien.

Loin du Secrétaire austère, renfermé, misanthrope souvent dépeint dans des textes hâtifs le concernant. Certes sans aucune illusion sur la nature humaine, pour le moins dubitatif sur l'existence de dieux ou d'un Dieu et sur un quelconque déterminisme historique, il brille par son esprit leste, vif, humoristique, florentin en somme.
Loin du Prince ou de l'Art de la Guerre, son théâtre et ses Histoires florentines l'illustrent. Lire ces dernières par exemple est source de plaisir.
Et du plaisir justement, Machiavel n'en est pas l'ennemi. 
Il lui consacre un court texte - cinq pages dans l'édition de la Pléiade - malicieusement intitulé Règlement pour une société de plaisir, qui fait suite à une toute aussi brève Exhortation à la pénitence ou Discours moral !
Ceux qui y chercheront un manuel pour devenir une sorte de DSK en dix leçons, un guide pour l'épanouissement des sens en seront pour leurs frais. 

Quelques règles doivent être posées.

Pour le Florentin, d'abord fuir la société pour trouver une société de plaisir. Paradoxe apparent ! Car, à y bien réfléchir, royaume de l'envie et de la médisance, la société des hommes n'a aucune raison de nous faire grâce du plaisir, le sien consistant principalement à nous abreuver d'avanies et de peines diverses.
Lisons l'article IV : "On devra sans cesse médire les uns des autres ; et si l’on admet un étranger dans la société, on dira publiquement tout ce qu’on peut avoir appris de ses péchés, sans être retenu par aucune considération".
Là, comme dans la sphère politique, ne rien attendre, jamais, des hommes, mus par l'égoïsme et la jalousie. L'article XIV l'illustre : "Chacun sera tenu d’envier le bonheur d’autrui, et de lui donner par conséquent tous les désagréments qui dépendront de lui ; et s’il en avait la possibilité, et qu’il ne le fît pas, il sera puni suivant le bon plaisir du président".
Et quand bien même, de quel plaisir pourraient-ils nous gratifier dans la mesure où, la plupart du temps, ils sont incapables de le trouver pour eux-mêmes.
Non, sinon solitaire (!), le plaisir et sa recherche sont quête individuelle.

Ensuite, savoir jouer des contraintes ou d'institutions difficilement évitables. Des règles de bon sens pourront nous être armes utiles.
Ainsi du mariage : l'article XVI nous indique un élégant moyen de limiter ses nuisances : "Voulant en outre que chacun ait ses aises, il sera pourvu à ce que chaque homme ou dame couche quinze jours au moins dans le mois, l’un sans sa femme, l’autre sans son mari, sous peine d’être condamnés à coucher ensemble deux mois de suite sans interruption". Sanction dissuasive donc.
Aucune misogynie cependant : le confort de l'épouse n'est en rien sacrifié. Ainsi, l'article XX dispose qu'"aucune dame de la société ne pourra avoir de belle-mère ; et si quelqu’une d’entre elles l’avait encore, elle devra, dans les six mois qui suivront, s’en délivrer avec de la scammonée, ou autre remède semblable : elles pourraient également user de la même médecine envers leurs maris, s’ils ne faisaient pas bien leur devoir."

On le voit : un manuel-de savoir vivre pour mieux supporter son prochain et lui ôter tout plaisir pour mieux trouver le sien.

Mais quelque chose me dit que, sur ce point non plus, Savonarole n'épousera pas tout à fait les vues de Machiavel.. J'y mettrais ma main au feu !












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