Retour à Essaouira.

Il est des noms de lieux qui font voyager dans leur tête certains enfants, égarés volontaires dans des atlas, voyages imaginaires qui ne seront jamais oubliés parce que précisément, ils n'ont pas eu lieu. 
Noms comme ceux des anciens comptoirs français de l'Inde - Pondichéry, Chandernagor, Mahé, Karikal et Yanaon -, que je me revois encore réciter debout, à coté de mon bureau, mains derrière le dos sous le regard faussement sévère de M. Damiani, mon instituteur de CM1... - un autre siècle.
Comme Mogador aussi.
Enfant, j'ignorais tout du Portugal, qui créa le port, ou d'un théâtre, sis dans une rue Paris, qui en portait le nom. Pas plus que je ne savais que ce qui fut le débouché des caravanes de Tombouctou était devenue Essaouira. 
Tout aussi exotique mais pas lié à mon enfance...

Essaouira donc, dix ans après.



Je n'ai aucun souvenir de toutes les constructions du bord de mer à l'entrée de la ville. Pour cause, rien de ces immeubles, commerces et hôtels n'existait il y a dix ans. Les voir ainsi, vides pour la plupart en ce mois de janvier, comme le penchant, sous un soleil éclatant et bordant une plage de rêve, des immeubles à la tristesse infinie, vides sous la pluie battante et le gris du crépuscule, cadre du braquage, sur la côte vendéenne, du film de Melville, "Un Flic".
La cité historique, à l'abri de ses remparts, se contente des ravages du temps et ne subit pas les standards du tourisme nivellateur contemporain. Les timides rénovations ne heurtent en rien le charme et la patine de constructions qui somnolent, indolentes, sous ces remparts qui, tous dépourvus qu'ils sont de la hautaine superbe de ceux de Saint-Malo, ont su résister aux colères de l'Atlantique et aux intrusions venues de mer et de terre.




Le souvenir fantasmé de la présence de Jimi Hendrix est toujours aussi prégnant, médiocre mais sympathique argument touristique pour ceux qui se laisseraient encore prendre au piège d'un séjour qui aurait duré trois ou quatre mois - en fait un week-end en juillet 1969, quelques jours avant un autre week-end plus avéré et plus documenté celui-là, à Woodstock - au cours duquel il aurait connu une frénésie de compositions sous l'influence des musiciens gnaouas - parmi lesquelles, la plus fameuse, "Castles made of sand": elle aurait été composée en hommage à l'ancien Palais du Sultan, dont on disait qu'Hendrix venait de racheter la ruine. Manque de pot, elle fut publiée sur "Axis : Bold as Love" ... en 1967 !



Bref, il en est des lieux hantés par Hendrix comme des cafés des Stones à Tanger : on en dénombre au moins une dizaine, tous aussi fantaisistes les uns que les autres. Pour ma part, je m'étais contenté du premier café visité, qui correspondait à peu près sur les hauteurs de la ville au lieu décrit dans les biographies sérieuses de Jagger & co.




Présent toujours, et avec infiniment plus de crédibilité et de traces réelles, le souvenir d'un Orson Welles éternellement fauché venu y tourner son Othello en 1951. "N'est-ce pas terrible de ne plus avoir d'argent pour le film ?", l'interroge un jour Micheàl MacLiammóir - Iago dans le film - lors d'un somptueux déjeuner au Harry's Bar à Venise... Apparemment pas pour Welles, et sa conception toute personnelle des priorités en matière d'utilisation des fonds qui lui étaient confiés...





Présence enfin, et permanence, de M. Joseph Sebag, bouquiniste et libraire, en son petit entrepôt à l'abri des remparts, témoin de la présence séculaire et essentielle pour Essaouira des Juifs, dont il est d'ailleurs "Adjoint Secrétaire Générale (?) de la Communauté Juive d'Essaouira": c'est ainsi que le présente sa carte, remise avec fierté et modestie mêlées. Leur présence est garante de l'humanité de cette cité.

Et une absence exceptionnelle en cette visite : celle des alizés ! 

















Musique pour finir : sur la plage d'Essaouira, Amin Gnawi
https://youtu.be/ADiVDbO_P3U

Et Page & Plant, live à Marrakech en compagnie de musiciens gnaouas.
https://youtu.be/7zAeeI-8KA8

Commentaires