Venise, Érotisme et Philosophie.

 "L'amour s'interpose entre les choses et nous. Il exige tellement d'attention qu'il épuise l'énergie nécessaire à une activité fertile de l'esprit. Tant de concentration tournée vers un seul être, et que nous aurions pu dédier à l'Idée ! L'amour subtilise la sève qui nourrit la vie spirituelle ; l'amour est la plus grande atteinte portée à la théorie. Que d'attentions nous dissipons dans le sublime intime qui lui est propre, quelle crise pour notre hygiène intellectuelle !
Les grands philosophes n'ont pas tant été déficients en la matière érotique, que maîtres dans l'art d'ordonner la débauche des sens et de la sensibilité dans un espace qui leur est étranger. Ils ont deviné que le temps exigé par l'amour est volé à la pensée et que l'amour n'a de sens que s'il exige du temps.
L'homme et la femme se rencontrent pour le tuer. Seuls, ils n'y parviendraient pas. La solitude ne tue pas le moindre instant. Ici réside le sens de l'existence séparée que mène le philosophe."
Emil Cioran, Fenêtre sur le rien, Gallimard / Arcades.

Sur un plan moins théorique, Jean-Jacques Rousseau, certes pas "grand philosophe", se retrouva "déficient en matière érotique". En une occasion connue, qu'il eut l'humour - ou l'inconscience... - de narrer. (Confessions, Livre VII).

Durant son séjour à Venise en 1744, alors secrétaire de l'ambassadeur de France, il fut invité à bord d'un vaisseau français par son Capitaine.
En plein milieu du repas apparut, "telle Venus émergeant des flots, une nymphe d'une beauté ineffable", Zulietta, courtisane dans une cité qui en regorgeait...
Rendez-vous est aussitôt pris pour le lendemain.
Tout palpitant, Rousseau s'y précipite, et... catastrophe ! : "Au moment que j'étais prêt à me pâmer sur une gorge qui semblait pour la première fois souffrir la bouche et la main d'un homme ( naïf Jean-Jacques... la première fois...!!! ), je m'aperçus qu'elle avait un téton borgne."
Piètre "maître dans l'art d'ordonner la débauche des sens", et toute ardeur évanouie, toute vigueur envolée, le pauvre Secrétaire - philosophe, effondré sur le lit, n'eut plus qu'à subir le mépris sifflant de Zulietta : "Zannetto, lascia le donne e studia la matematica".

Sans doute ne maîtrisait-il pas non plus tout à fait la langue italienne ! 
Ainsi, il abandonna les mathématiques pour le bonheur de celles-ci, et sévit en matière philosophique, pour le malheur des hommes.
Mais la suite de l'histoire ne dit pas s'il fit le bonheur des dames...

Portrait idéalisé d'une courtisane. (Lucrezia Borgia ?)
Bartolomeo Veneto (circa 1520).

Quant à Venise et ses courtisanes, une histoire sans fin...


Commentaires