Embarqué (s).

La saison est idéale pour s'embarquer dans des voyages littéraires au long cours - en ces lieux où la médiocrité des temps semble devoir s'accomplir dans une médiocrité solidement (?) installée du temps.

Un guide est indispensable, qui nous mène vers des lieux  libérateurs de l'étreinte étouffante du quotidien, dans la compagnie de personnages fascinants.

Nommons donc Lawrence Durrell et son magnifique Quatuor d'Alexandrie.

Alexandrie donc, "ville à demi rêvée, (...) "qui peut tout offrir à ses amants, sauf le bonheur", (...) "catin d'entre toutes les villes", si loin de la bluette disco, baudelairienne par sa pourriture, rimbaldienne pour l'ocre de sa poussière africaine, "sol de perle aux ombres nacrées et aux reflets mauves, (...) poussière fauve", "cet unique voile voile couleur de pruneau, humide, palpitante", aiguillon permanent d'une "nostalgie d'être du bon côté de la Méditerranée", insuffisante pour qui désirerait la quitter - sauf pour une mort physique ou sociale.

Justine ensuite, en laquelle on aurait tort de ne voir que l'archétype de la nymphomane : les feux qu'elle traverse, le gouffre que devine et partage - c'est aussi le sien... - le lecteur attentif et qu'entrevoient les différents porte-voix du narrateur des quatre romans sans en épuiser la détresse et le charme vénéneux.

Les autres solistes du Quatuor, acteurs, l'auteur. 

Écoutons-le justement, "dans l'amalgame nébuleux de (ses) souvenirs", - presque solitaire en son son île grecque "tandis que le vent égéen s'agriffe à cette maison, s'acharne sur elle un instant" :

"L'apaisement que me donne ce travail de la tête et du cœur réside en cela que c'est ici seulement, dans le silence du peintre ou de l'écrivain, que la réalité peut être recréée, retrouver son ordre et sa signification véritables et lisibles. Nos actes quotidiens ne sont en réalité que des oripeaux qui recouvrent le vêtement tissé d'or, la signification profonde. C'est dans l'exercice de son art que l'artiste trouve trouve un heureux compromis avec tout ce qui l'a blessé ou vaincu dans la vie quotidienne, par l'imagination, non pour échapper à son destin comme fait l'homme ordinaire, mais pour l'accomplir le plus totalement et le plus adéquatement possible. Autrement, pourquoi nous blesserions-nous les uns les autres ?"

Le lecteur enfin, artiste à son tour, s'il consent à n'être pas que passif. Comment ne pas y consentir s'il veut, un tant soit peu, habiter l'œuvre ?




Il est permis de penser que l'édition française en Livre de Poche, collection La Pochothèque, est remarquable par l'établissement du texte, son introduction, ses notes. Si rare en ces temps de boutiquiers baptisés éditeurs.

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