Vice impuni.

 LIRE, lire un livre est, comme toutes les occupations proprement humaines, une tâche utopique'. J'entends par utopique toute action dont l'intention initiale ne peut être menée à bien par le développement de son exercice et qui doit se contenter d'approximations essentiellement contradictoires au regard de son objectif initial. Autrement dit,
"lire" commence nécessairement par un projet de compréhension parfaite d'un texte.
Cependant, cela est impossible. On peut au mieux, au prix d'un grand effort, déduire une partie plus ou moins importante de ce que le texte a voulu dire, communiquer, déclarer, mais il subsistera toujours un résidu "illisible".

Il est en revanche probable que, lorsque nous fournissons cet effort, nous lisions, par la même occasion, dans le texte, ou plus exactement nous comprenions des choses que l'auteur na pas "voulu" dire et qu'il a pourtant "dites", nous les a révélées involontairement, d'autant plus si c'est contre son gré. 

Cette double condition du dire, aussi étrange et antithétique qu'elle soit, est formalisée en deux principes (...) que l'on peut résumer ainsi :

1°) Tout dire est déficient - il dit moins que ce qu'il voudrait dire.

2°) Tout dire est exubérant - il donne à entendre plus que ce qu'il ne l'aurait voulu.



"Qu'est-ce que lire" , recueil  d'une quarantaine de pages constitué des notes datant de 1946, sorte de commentaires accompagnant le "Banquet" de Platon, et non destinées à une publication.
Comme - presque - tout ce qui coule sous la plume d'Ortega y Gasset, c'est un véritable bonheur de lecture pour celui qui n'est pressé par rien ni personne. Libéré, en quelque sorte...
"Lire, c'est interpreter et rien d'autre", trouvera-t-on un peu plus loin dans le texte. Exactement ça.

"Qu'est-ce que lire", José Ortega y Gasset. Ed. Allia, 2023.



Commentaires