Arriéré.
Orsay, le musée. La superbe salle des Nabis est déserte, tout loisir pour y errer. Poser le regard sur une merveille inconnue - de soi, s’entend…
Ainsi cet « Enfant au pâté de sable » de Pierre Bonnard.
Élément disparate d'un panneau de la fin XIXème siècle, sans rapport aucun avec trois autres parties d'un dénommé "Ensemble champêtre".
Comme un rappel évident de cet "enfant qui s’amuse, joue au trictrac", dans lequel Héraclite d'Éphèse voyait une allégorie du temps, avant de le gratifier d'un définitif "À l’enfant la royauté" !
Nietzsche qualifiait Héraclite d’Éphèse, d'"homme esthétique" : "Or, en soi l'artiste est déjà un être arriéré parce qu'il reste dans le jeu propre à la jeunesse et à l’enfant : à cela vient s'ajouter que peu à peu il subit une déformation qui le fait rétrograder vers d’autres temps." ( Humain, trop humain, Livre I, 159).
Je comprends mieux pourquoi cette époque moque les "rétrogrades" - conservateurs, réactionnaires... - pour encenser les "progressistes" : l'esthétique y est de moins en moins présente.
Ce panneau de Bonnard, qui laisse une grande mais sobre impression, a quelque chose de très chinois : ces tons, le sujet, le format...
RépondreSupprimerAphorisme 159 ? J'ai commencé à me replonger dans mon HTH ce matin à l'aphorisme 161 (la page d'â côté donc). La semaine dernière il est arrivé la même chose mais nous étions à cinq pages de distance. Nous nous rapprochons dangereusement. Merci Freddie.
Ce qu'il dit là me rappelle ce poème de George Oppen que j'aime beaucoup (même si cette idée de l'enfant dans l'artiste est ici un peu différente) :
CHAMBRE D'ENFANT
Un ami a visité les chambres
De Keats et de Shelley
Près du lac, observant « qu’il s’agissait de simples
Chambres d’enfant », ce qui a eu le don
De l’émouvoir. Certes la chambre d’un poète
Est toujours une chambre d’enfant
Et j’imagine que les femmes le savent.
Peut-être une femme sera-t-elle excitée par
Un banquier d’une grande laideur, un homme
Et non pas un enfant qui cherche à retrouver
Son souffle sur le corps d’une fille.
J'ignore tout de ce George Oppen... Beau texte, en effet. Quant au moustachu, j' y vais, dans la relecture, "à sauts et à gambades" comme disait l'autre... Une éternelle re-découverte !
RépondreSupprimer