Hank sur Ferdinand.

Il doit y avoir une bonne centaine de bouquins comme ça, entreposés dans la chambre, qui somnolent, attendant des jours meilleurs, c'est à dire d'être dévorés ou lus.

Achats compulsifs, achats réfléchis, tous portent la trace d'un intérêt porté à un moment ou à un autre à un sujet, un moment historique, un personnage fictif ou pas. Ou d'une vieille fidélité un peu jaunie à un auteur... Tous me sont promesses de lecture, tous ne les tiendrons pas. 

Je retourne vers eux comme dans une librairie - ma librairie personnelle - pour y farfouiller sans que personne ne s'aventure à m'importuner d'un " Puis-je vous aider" mielleux  ou d'un stupide "Vous cherchez quelque chose de précis ?", plus sûrs chemins à mes yeux pour me tourner vers M. Amazon et en extraire un, oublié parfois, on se demande pourquoi. 

Ainsi de ces "Bukoliques", d'un certain Cédric Meletta, qui patiente depuis quatre ans : j' y vois l'occasion d'une sorte de revanche contre le mauvais moment récemment enduré avec un certain"Docu-BD", sur lequel je ne souhaite pas revenir - un billet suffit amplement.

Pas déçu du voyage ! Bouquin plus que recommandable, pas prétentieux pour un sou. 
Certes, on passera sur l'éternel contre-sens concernant l'épicurisme, vu comme excès, débauche, défoulement, que sais-je... Alors qu'il n'est que mesure ou tempérance.
Pas plus que l'on n'insistera sur le traditionnel coup d'encensoir "aux restes des Kennedy vaincus, rognés par l'Establishment et l'hérésie colonialiste d'un Richard Nixon" ! En ces temps d'acculturation généralisée, un rappel s'impose : c'est l’authentique voyou John Kennedy qui a démarré l'intervention américaine au Vietnam, et "Tricky Dicky" qui y a mis fin : en matière d'hérésie colonialiste, qui a fait quoi ?

L'essentiel est ailleurs. Une biographie de Buk, plus qu'étoffée sans être exhaustive, donc pas emmerdante, sans interférences fâcheuses avec un rappel nourri des "œuvres" ( ! ) et de leur contexte d'écriture. 

Également des pages pertinentes sur la manière dont le cinéma a traité le cas. Et surtout une insistance bienvenue sur les seuls vrais centres d'intérêt de l'olibrius : littérature, femmes, musique symphonique et canassons. 
Et bière, ça va de soi.

Et Céline. Ici, le mieux est de les retrouver tous deux sous la plume de l'auteur :

"Lettre C. Allez à l'essentiel. On remisera certainement trop de bons livres de bons auteurs, tant la lettre parait accaparée par un seul écrivain, plutôt qu'un seul homme. Cet écrivain, c'est Céline. Juste Céline. Avec accent aigu. Même les Américains prennent ce soin.

La griffe, sans un poil de mode, avec un chouia de snobisme. On se passera du D' Destouches et de Louis-Ferdinand là où ils ont choisi de rester. Dans la soue. Céline, c'est le "foutu maitre qui chuchote à l'oreille, des boulons dorés dans la tête. Voilà un type qui peut écrire mieux que moi ! " Cette concession, c'est ce que j'appelle un égard.

De la part d'un type qui a commencé à écrire, non pas parce qu'il se sentait bon ou prédestiné par vocation, mais parce qu'il jugeait que tout ce qui avait été initialement fait depuis le Sumérien Gilgamesh, tenait, au mieux, du passable, au pire, de la merde conchiée. C'est le côté "nouveau Messie" de Bukowski qui agace un peu quand il ne fait pas grincer les dents. Le côté morveux, frimeur. Et radoteur, avec ça.

"Céline ? Le plus grand écrivain depuis deux mille ans ! " Par moments, y a comme un maniérisme, une sorte de pastiche malgré lui. Les deux écrivains se marrent en argot, cultivent le style parlé, néanmoins, il existe plusieurs divisions d'écart entre les dégoûts de l'un et la haine exacerbée de l'autre. D'ailleurs, l'auteur de "Céline avec une canne et des baskets" (1988) se ravise à plusieurs reprises. Plus que le maître du chat Bébert et que l'époux de Lucette, à son sens décevant dans sa "Trilogie allemande" et ses autres textes, c'est "Voyage" qui prévaut. Sans article. On tient là l'un des six ou sept. "Voyage au bout du temps, ou au bout de la nuit," Hank confond tout le temps.
Là, le secret est dans la ligne, c'est l'éclair à chaque bas de page, c'est le philosophe sans la philosophie, c'est unique, le narrateur sait tout."
C'est tout.



Cédric Meletta, Les Bukoliques. Éditions du Rocher (2020).

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