La quarantaine assumée.

"Non seulement je n’ai pas su devenir méchant, mais je n’ai rien su devenir du tout : ni méchant ni gentil, ni salaud, ni honnête – ni un héros ni un insecte. Maintenant que j’achève ma vie dans mon trou, je me moque de moi-même et je me console avec cette certitude aussi bilieuse qu’inutile: car quoi, un homme intelligent ne peut rien devenir – il n’y a que les imbéciles qui deviennent. Un homme intelligent du XIXe siècle se doit – se trouve dans l’obligation morale – d’être une créature essentiellement sans caractère ; un homme avec un caractère, un homme d’action, est une créature essentiellement limitée. C’est là une conviction vieille de quarante ans. 
Maintenant j’ai quarante ans – et quarante ans, c’est toute la vie: la vieillesse la plus crasse. Vivre plus de quarante ans, c’est indécent, c’est vil, c’est immoral. Qui donc vit plus de quarante ans ? Répondez, sincèrement, la main sur le cœur ! Je vous dis, moi : les imbéciles, et les canailles. Je leur dirai en face, à tous ces vieux, à tous ces nobles vieux, à ces vieillards aux cheveux blancs, parfumés de benjoin ! Je le dirai à la face du monde ! J’ai bien le droit de le dire, je vivrai au moins jusqu’à soixante ans. Je survivrai jusqu’à soixante-dix ! Et jusqu’à quatre-vingts ! ... Ouf, laissez-moi souffler."
Fiodor Dostoïevski, Les Carnets du Sous-sol. (1864).








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