Frédéric Schiffter, "l'instinct de l'affinité".

Dans une lettre datée du 13 février 1887, Nietzsche écrit à son ami Peter Gast : "Connaissez-vous Dostoïewski ?  ( sic ) Stendhal excepté, personne ne m’a procuré autant de plaisir ni de surprise. Un psychologue avec qui "je m’entends"."
Il revient à la charge le 7 mars suivant : "Pour moi, il en va de Dostoïewski comme autrefois de Stendhal ; le contact le plus fortuit, un livre feuilleté dans une librairie, un auteur dont on ne connaît que le nom - et soudain un brusque instinct vous avertit que vous avez trouvé là un parent".
Entre temps, le 23 février, il s'était ouvert à un autre ami, Franz Overbeck de cette découverte, pour lui aussi importante que celle de Schopenhauer à l'âge de 21 ans et de Stendhal, quand il en avait 35. 
Et précise la nature du lien qui préside à ces trois rencontres : "l’instinct de l’affinité".

Exactement ça, "l'instinct de l'affinité", pour s'y découvrir "un parent". Même si je ne suis pas sûr que je "m'entendrais" en permanence avec lui...

Schiffter  ? Découvert grâce à Roland Jaccard. Une garantie. Et Louis Watt-Owen. Deux garanties.
Fréquenté sur You Tube, sur Twitter je crois bien aussi, du temps où ce n'était pas encore un égout - sinon qu'aurait bien pu y faire le philosophe chic.... Puis, très vite, ses écrits. Avec le temps, je crois avoir tout lu, opus introuvables ou épuisés compris - ces mois à essayer de mettre la main sur "Le plafond de Montaigne" sans me faire braquer...
Échangé avec lui. Des différences d'appréciation politiques - Oh ! trois fois rien... - des goûts musicaux parfois incompatibles - il y aura toujours Dylan entre nous, mais symbiose sous les auspices de Sinatra -.
Inappréciable en ces temps, un penseur - il en donne la définition dans le roman - qui vous éclaire sans vous faire passer des vessies pour des lanternes, lot de la plupart de ses confrères enseignants, trop souvent illuminés sans lumières.

Et par-dessus tout, une sensibilité à fleur de peau, signe infaillible de la présence d'un cœur. Pour la sensiblerie, faudra voir ailleurs.

Je lui dois une nouvelle lecture de l'oncle Arthur, la fréquentation de Clément Rosset, la découverte d'Inakì Uriarte. Ce qui, on en conviendra volontiers, n'est pas rien.

Essais, recueils d'aphorismes, dictionnaire - chic bien sûr... - de philosophie, blog, tout m'est bonheur de lecture avec lui. 
Ses romans bien sûr.
Le second vient de sortir. "Rétrécissement" en est le titre.

Pour qui ne connaît pas le philosophe balnéaire, plus voluptueux qu'inquiet, voilà un excellent moyen de le découvrir. Les aficionados auront le soin de faire le tri des éléments autobiographiques ou non, d'estimer la part de Jaccard en la personne de M. Lévy, de mettre un nom sur le philosophe médiatique - "le philosophâtre" - apparement friand de sexe oral, en rupture totale avec son image si moralement inattaquable...

Tous feront leur miel d'un style acéré, phrases courtes et adjectifs tranchants, jugements à la machette et aphorismes cliniques - "l'éditorialisme des agrégés ès médias demande un sans gêne intellectuel dont les dieux m'ont privé."
Ainsi, nous retrouvons-nous ainsi vengés des médiocres, des incultes, des tartuffes, des marchands de bonheur et de bien-être, qui encombrent notre quotidien - ils sont légion.
Un roman qui invite souvent le sourire sur les lèvres du lecteur, le rire parfois - et aux éclats -, dans une élégance mélancolique et digne.

Lisez-le : vous le situerez dans une famille qui va de Montaigne à Rosset, en passant par Pascal, Chamfort et La Rochefoucauld, Schopenhauer et Nietzsche - même si j'ai des raisons de croire que lui prêter une proximité avec le moustachu ne l'enchante guère... 
Un parent, effectivement...

Vous ai-je dit que Frédéric Schiffter était un type vraiment bien ? 
Pour cette seule raison, allez-y voir...

Frédéric Schiffter, Rétrécissement. Le cherche midi, 2023.