Drop out.
Quitter à présent toutes ces choses confuses
tout ce que nous possédons et qui pourtant ne nous appartient pas,
ce qui telle l’eau des vieilles fontaines
nous reflète en tremblant et décompose notre image;
toutes ces choses qui telles des plantes armées d’épines
s’accrochent à nous une dernière fois, – ne pas s’arrêter,
et ceci et celui-là que l’on ne voyait plus
(tant ils étaient quotidiens et ordinaires)
les regarder tout à coup en face et de près;
d’un œil doux et conciliant comme pour la première fois;
sentir confusément combien impersonnelle
et s’abattant sans choix allait la douleur
dont l’enfance était jusqu’aux bords remplie – :
et partir tout de même, arrachant la main à la main
comme si on rouvrait une plaie déjà guérie
et aller plus loin : mais où ? vers l’inconnu,
profondément dans un pays étranger et chaud,
qui derrière tous nos affairements démêlés
se tiendra indifférent comme un décor : jardin ou mur;
et continuer : mû par quoi ? par nécessité ou tempérament,
par impatience ou attente obscure,
par impossibilité de comprendre ou sottise :
Prendre tout cela sur soi et en vain,
laisser tomber des choses que peut-être on tenait
pour mourir tout seul et sans savoir pourquoi – :
tout ce que nous possédons et qui pourtant ne nous appartient pas,
ce qui telle l’eau des vieilles fontaines
nous reflète en tremblant et décompose notre image;
toutes ces choses qui telles des plantes armées d’épines
s’accrochent à nous une dernière fois, – ne pas s’arrêter,
et ceci et celui-là que l’on ne voyait plus
(tant ils étaient quotidiens et ordinaires)
les regarder tout à coup en face et de près;
d’un œil doux et conciliant comme pour la première fois;
sentir confusément combien impersonnelle
et s’abattant sans choix allait la douleur
dont l’enfance était jusqu’aux bords remplie – :
et partir tout de même, arrachant la main à la main
comme si on rouvrait une plaie déjà guérie
et aller plus loin : mais où ? vers l’inconnu,
profondément dans un pays étranger et chaud,
qui derrière tous nos affairements démêlés
se tiendra indifférent comme un décor : jardin ou mur;
et continuer : mû par quoi ? par nécessité ou tempérament,
par impatience ou attente obscure,
par impossibilité de comprendre ou sottise :
Prendre tout cela sur soi et en vain,
laisser tomber des choses que peut-être on tenait
pour mourir tout seul et sans savoir pourquoi – :
Est-ce là l’entrée d’une vie nouvelle ?
Rainer Maria Rilke, Der Auszug des verlorenen Sohnes, Les Sonnets à Orphée (1922).
Rainer Maria Rilke, Der Auszug des verlorenen Sohnes, Les Sonnets à Orphée (1922).
Rainer Maria Rilke, Hôtel Catalonia Reina Victoria, Ronda, mars 2015.
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