Blues, Princes & Pharaons.
"Dans une île de la Georgie, cet état du Sud qui fut une pépinière et un pourrissoir d'esclaves, et où, même aujourd’hui, les sectes irréductibles, les groupes soudés par la notion de la supériorité de l'homme blanc, normal et protestant sont peut-être plus enracinés qu'ailleurs, on montre une crique quelconque, où la légende veut qu'un vaisseau négrier ait jadis débarqué ses proies, celles du moins qui arrivaient vivantes, après les longs mois de terreur, d'étouffement et d'infections de la traversée.
Hommes libres, chefs peut-être dans leur pays, vendus par l'un des leurs avide de toucher l'or des blancs ; ils avaient passé d'un continent dont ils ignoraient même le nom à un autre dont ils ne soupçonnaient même pas l'existence.
La légende assure qu'une fois débarrassés momentanément de leurs fers, lâchés sur la plage marécageuse par des gardes-chiourmes qui comptaient les enferrer de nouveau pour les conduire en ville au bloc du marché, on vit cette petite troupe d'hommes entrer dans la mer comme pour s'y rafraîchir, en chantant inexplicablement une de ces longues complaintes de leur pays ponctuées de cris ou prolongées par de profonds murmures à bouche close, et qui font pleurer.
Avançant toujours, on ne vit bientôt plus d'eux que des épaules luisantes, et des têtes crépues dont les grandes bouchent chantaient. Puis, rien que quelques haillons détachés de leurs loques et flottant sur la mer.
Venus de leur patrie sur le formidable océan, dans un bateau-prison, ils s'étaient dit qu'ils y rentreraient en liberté par ces grandes routes de la mer, n'imaginant même pas la mort ou acceptant la mort.
Ces deux amis s'étayant l'un l'autre, ces deux princes fragiles usés par la misère et les sévices, à moins que ce soient la misère et les sévices qui eussent fait d'eux des princes, s'enfoncent sous nos yeux dans la pénombre de Rembrandt, et y disparaissent comme ils l'eussent fait dans la mer."
29 Septembre 1986, Mount Desert.
Hommes libres, chefs peut-être dans leur pays, vendus par l'un des leurs avide de toucher l'or des blancs ; ils avaient passé d'un continent dont ils ignoraient même le nom à un autre dont ils ne soupçonnaient même pas l'existence.
La légende assure qu'une fois débarrassés momentanément de leurs fers, lâchés sur la plage marécageuse par des gardes-chiourmes qui comptaient les enferrer de nouveau pour les conduire en ville au bloc du marché, on vit cette petite troupe d'hommes entrer dans la mer comme pour s'y rafraîchir, en chantant inexplicablement une de ces longues complaintes de leur pays ponctuées de cris ou prolongées par de profonds murmures à bouche close, et qui font pleurer.
Avançant toujours, on ne vit bientôt plus d'eux que des épaules luisantes, et des têtes crépues dont les grandes bouchent chantaient. Puis, rien que quelques haillons détachés de leurs loques et flottant sur la mer.
Venus de leur patrie sur le formidable océan, dans un bateau-prison, ils s'étaient dit qu'ils y rentreraient en liberté par ces grandes routes de la mer, n'imaginant même pas la mort ou acceptant la mort.
Ces deux amis s'étayant l'un l'autre, ces deux princes fragiles usés par la misère et les sévices, à moins que ce soient la misère et les sévices qui eussent fait d'eux des princes, s'enfoncent sous nos yeux dans la pénombre de Rembrandt, et y disparaissent comme ils l'eussent fait dans la mer."
29 Septembre 1986, Mount Desert.
Marguerite Yourcenar, En pèlerin et en étranger. Pages 230, 231. Gallimard 1989.
"Les blues, les airs nègres d’Amérique reviennent ce soir à l’Afrique, après un détour de quatre siècles. Cette mélancolie des esclaves enchaînés, louisianais ou géorgiens, n’est pas d’ici ; le chant primitif est beaucoup plus près du cri de guerre ou de l’incantation.
Ce que semblent préférer ceux qui entourent notre bivouac, dans l’obscurité, ce sont des airs russes, du Borodine, la chevauchée des steppes, cette poésie d’un autre désert mais d’une liberté semblable à la leur.
Grillons.
(...)
Nous passons ainsi une partie de la nuit, sous une mosaïque d’étoiles. La soif elle-même s’apaise pour quelques heures et nous nous étendons, ensevelis comme des pharaons momifiés par une sublime sécheresse."
Grillons.
(...)
Nous passons ainsi une partie de la nuit, sous une mosaïque d’étoiles. La soif elle-même s’apaise pour quelques heures et nous nous étendons, ensevelis comme des pharaons momifiés par une sublime sécheresse."
Sur la route de Niafunké in Paris-Tombouctou,1928. Bouquins / Laffont 2019, Page 40.
Le style - et quels styles !, égarés sans doute aujourd'hui, sauf sous quelques plumes ou claviers - pour deux lectures aller ET retour des origines du Blues, cette merveille de musique.
Et comme plainte, mieux que Borodine : Sam " Lightnin' " Hopkins... "Mmmmmmm, I can't hold it, keep from cryin' "
Moanin' Blues (Version de 1953).
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