Rire ? Rire !

"Si tu en as un chez toi (un exemplaire des Essais), lis de suite le chapitre de Démocrite et Héraclite. Et médite le dernier paragraphe. Il faut devenir stoïque, quand on vit dans les tristes époques où nous sommes."

Énième conseil de lecture montanienne de Flaubert à sa maîtresse Louise Colet dans une lettre du 26 avril 1853 : jamais il ne cessera de lui recommander la fréquentation du périgourdin.
Ce qui est bien le moins quand on tient une personne en quelque estime... sa maîtresse, pensez-donc !

Occasion donc de relire le-dit chapitre - court, quatre pages -, cinquantième du premier livre des Essais.

Montaigne, coquet, souligne les failles de son jugement  - " je ne vois le tout de rien " - pour nous inviter aussitôt à nous garder de "ceux qui nous promettent de nous faire voir ce tout et ne le voient pas non plus". Salutaire conseil en ces temps d'explications globales, totalisantes - bientôt totalitaires ? - de cette pandémie, abondamment et cérémonieusement délivrées en permanence par les habituels et convenus Jocrisse médiatiques.

Et donc à cesser d'être la dupe des manifestations extérieures : " Ne prenons donc plus pour excuse les qualités extérieures des choses : c'est à nous qu'il faut nous en prendre. Notre bien et notre mal ne dépend que de nous".
Ce qui vaut pour les choses devant valoir assurément pour les êtres...

On y découvre plus loin, au détour d'un propos sur Alexandre, la pauvre opinion qu'avait Montaigne des échecs - "...ce jeu puéril et stupide (...) que je déteste et que je fuis parce qu'il n'est pas assez un jeu et qu'il nous divertit de façon trop sérieuse : j'ai honte de lui consacrer l'attention qui suffirait à faire quelque bonne chose". Mais cependant, à l'instar de chaque "occupation" humaine, moment révélateur, par les passions qu'il lève, de "chaque parcelle" de l'homme.

Quant à faire le départ entre le rire de Démocrite, "trouvant la condition humaine vaine et ridicule",  et la tristesse d'Héraclite, "éprouvant pitié et compassion pour cette même condition qui est la nôtre", nul ne s'étonnera de la préférence envers le premier : Montaigne "ne pense pas qu'il y ait en nous autant de malheur qu'il y a de frivolité, ni autant de méchanceté que de sottise : nous ne sommes pas aussi pleins de mal que d'inanité, nous ne sommes pas aussi malheureux que nous sommes vils".
Et donc si "pitié et commisération sont mêlées de quelque estime que l'on a pour l'objet qu'on plaint ; les choses dont on se moque, on estime qu'elles n'ont aucune valeur".
D'où le rire, logique et salvateur, qui est aussi celui de Diogène, qui "évitait notre compagnie, non par la crainte, mais par le dédain de notre fréquentation : il ne nous estimait capables ni de faire du bien ni de faire du mal".

Et Montaigne de conclure ce fameux chapitre : " Notre condition propre et particulière est aussi ridicule qu'elle est capable de rire". Risible, autrement dit.

Quant à Flaubert, il soulignait par ailleurs dans la même lettre : "Je ne connais pas de livre plus calme et qui vous dispose à plus de sérénité."

Montaigne, Flaubert, et quelques autres, compagnons rêvés pour "ces tristes époques", peu nombreux certes, mais hors de prix.





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