Rock & Folk, 50 ans après. Épisode I.

Bref, le truc c'est de piocher dans l'intégrale de Rock & Folk, autrefois magazine estimé et plus qu'estimable, pour y reprendre un numéro d' il y a cinquante ans correspondant au mois en cours. 
Le temps d’un billet mensuel, badin avec ce qu'il faut de tendre ironie pour ce temps-là, enfin tant que ça m'amusera...

Des inepties mais peu de banalités, des bijoux, une qualité d'écriture et une culture rares dans la presse magazine française de l'époque, on découvrait tout en la matière, on se bâtissait une sorte de vision du monde dont il faudrait bien sûr, au fil des ans, se départir pour comprendre, et encore à peu près, le film de la vie...
Autant de madeleines pour le futur.

Juin 1972, donc. Anecdotique : le canard était vendu quatre francs, soit quatre euros valeur 2021. Il a donc augmenté de plus de 50%..., sa valeur a t-elle suivi son prix ? 

En couverture, Jagger - who else ? - pour saluer la sortie d'Exile on main street.



Au menu : 
Courrier des lecteurs, aussi indigent qu’aujourd’hui - difficile de faire mieux dans le genre - mais plus naïf et plus prétentieux à la fois, se voulant cultivé et politisé - à gôche par définition, c'est à dire anti-capitaliste, anti-américain, dans le confort intellectuel de celui qui, culturellement, inconsciemment mais avec bonne conscience, se vautre aux pieds de l'Oncle Sam.

Ainsi, masturbation obligée de l'époque sur Morrison, "politicien érotique" - bla...bla...bla - qui se serait proposé de faire "sauter une usine atomique" tout en étant, on suppose, militant anti-nucléaire, dont on souligne la "dialectique essentielle du personnage qui poserait de par sa mort "- là on s'accroche - "le problème universel de l'excès, de l'énergie gaspillée dans l'exubérance, le problème de la dépense improductive " ( ! ), le tout à grand renfort de citation de Georges Bataille.

Plus loin, une mise en demeure adressée au magazine de s'opposer au service militaire, puis une célébration des "jeunes loups" de la chanson bretonne. Tout ça existe encore ?

Dans ce fatras, un moment de lucidité chez un lecteur qui remet Peter Green à sa place - au panthéon des guitaristes. Qui "remet l'église au milieu du village", sans doute "en ayant coché toutes les cases", dirait le crétin diplômé de nos jours...

Passons au rédactionnel.
Démolition en règle de Bangla Desh - concert et film - par un Kœchlin sans doute en manque de sommeil pour s'interroger sur la présence de deux batteurs ( ! ) - fallait en demander la raison au syndicat des musiciens US... -, réitérée dans une chronique ciné "Quelques images de +" d'un conformisme navrant - Garnier était absent.

Rapide mention d'un Ray Davies, "costume blanc, nœud papillon grenat à pois blancs" - on se croirait à Longchamp, description d'une casaque au départ de la troisième, "toujours aussi naturel dans son effémination" ( sic ) ! Kinky ?

Bijoux mensuels en ces temps : la page dévolue à Gotlib et à son Hamster Jovial, et les "Bricoles" de Paringaux - ici Berlin 1938, page éminemment viscontienne d'un styliste hors-pair mais hélas paresseux.

Interview d'un Pete Townshend en lévitation face à son Messie Meher Baba, rien moins que tout à la fois "réincarnation du Christ, de Krishna et de Mahomet" !, puis, en vertu sans doute de son passage parmi les Jeunesses communistes british, s’empêtre dans une analyse des "échecs politiques" de Dylan et Lennon, pour s’enliser dans une comparaison avec Jagger, non pas à propos de la longueur respective de leurs kikis - ça viendra beaucoup plus tard - mais relative à leur "starification" commune : "Mick est né rock star, moi j'ai dû apprendre". Question de pif, sans doute... Passionnant.

Un excellent papier de fond sur Little Richard - qui donc écoutait encore la "Georgia Peach" en 1972 ? Les intégristes du Rock n'roll des fifties et des homos, les gays de l'époque, et encore...

Des compte-rendus de concerts parisiens : Leonard Cohen, article médiocre d'un spécialiste folk autoproclamé qui ignore quelle pouvait bien être cette femme que l'ombrageux canadien "a connue à New-York et qui l'a quitté", héroïne du Chelsea Hotel - un indice pour le folkeux : son prénom était Janis... -, les Doors "d'Après lui" ( sic ), pas un simple groupe d'accompagnement mais revus à la hausse par un Paringaux manifestement éveillé et donc lucide sur la suite - tout cela ne devait pas mener bien loin.

On passera sur les concerts Soft Machine et Grateful Dead - bâillements, ces gens étaient trop bavards - East of Eden - qui ça ? -, et Magma - gag ? Plus sérieux, Jerry Lee Lewis et, ben oui, Dick Rivers...

Disques chroniqués ? Une énumération suffira pour dire la richesse de ces temps : Concert- hommage à Woody Guthrie - Dylan & co -, Marvin Gaye - fondamental What's going on -, un Hendrix live et pour faire bonne mesure un Cream live, le premier LP solo de Lou Reed, "qui joue maintenant sur le charme" ( pas faux, fallait sans doute songer à faire rentrer un peu de fric, Bowie viendra bientôt ouvrir les vannes... ), le sous-estimé John Kay - rocker de droite ? - hors Steppenwolf, et le tout venant d'une époque musicalement bénie - la suprématie des médiocres n'allait pas tarder. Donc, Joe Cocker, Sinatra - "inusable Frankie... disque admirable", Leadbelly, Ten Years After etc.

Plat du jour : quatre pages consacrées en première écoute, morceau par morceau, à l'un des quatre meilleurs opus stoniens, sans doute aussi un des quatre meilleurs double-albums de l'époque - on énumère pour le plaisir de 66 à 68 : Blonde on Blonde, White Album, Electric Ladyland.
Pour s'apercevoir que l'on a oublié les Basement Tapes, Wheels of Fire, le premier Chicago. Stooop !


La critique de Paringaux est à la hauteur du disque - de haute volée : "Ces gens disent, un peu étonnés : Le nouvel album des Stones, vous savez, c'est du rock. Du ROCK ! (...) Comme si les Stones, je vous le demande, avaient jamais fait autre chose que des albums de rock, de rock et de rock encore. (...) Dix ans que cela dure... Et les Rolling Stones continuent d'enchanter sans surprendre et persévèrent dans leur unique voie". (...) Mode à l'écart des modes, ils durent".

Bientôt, ils enchanteront toujours moins : la suite montrera qu'Exile sera leur dernier grand disque - il y en aura par la suite de très bons, - peu - puis des bons - toujours aussi peu - puis des médiocres - beaucoup, trop,  avec quelques bons morceaux surnageant, ça et là. 
Puis plus quasiment que des Live, inspiration à sec et lassitude aidant. Et montagnes de dollars à la clé.
Ce qui en fait a peu d'importance. 

Paringaux pressent l'essentiel : "L'on en vient à ressentir cette impression étrange qu'ils sont là pour toujours, étalon immuable de la rock music (...), imperturbables, ils sont la meilleure représentation de ce que le rock a d'éternel dans sa simplicité".
Et poursuit :" On ne peut les comparer à un Miles Davis, dont le jeu d'aujourd'hui n'a plus rien à voir avec celui d'hier, alors que ce nouvel album des Stones n'est pas fondamentalement différent du tout premier".
Pour conclure : " Pas de longueur -  au contraire, la musique est ici plus dense, moins étirée que sur Fingers -, pas de tape-à-l’œil. Juste les Stones, ce qui n'est pas rien."
1972... De toute façon, Koechlin et Paringaux préféraient le jazz...

Commentaires

  1. J'ai adoré l'épisode 1 , vivement le 2

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    1. Merci ! Tout le mérite en revient à ce mensuel vraiment hors du commun à cette époque. Je prends du plaisir à feuilleter les anciens numéros de temps à autre, et s'il me irrite plus, je lui garde une forme d'affection envers un vieux compagnon. Je l'achète encore tous les mois : je ne connais pas la moitié des gens qu'il évoque, je m'en fous car ils ne m'intéressent en rien, et globalement son style reflète la médiocrité ambiante, sauf avec deux ou trois rédacteurs comme Ungemuth, Soligny, Dahan par exemple.
      Je dois être sans doute "le plus vieux lecteur depuis le numéro un"... Vieux con en somme, mais bon, on fait avec ! La suite en juillet, donc...

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