Mexicains basanés.
L'année dernière, à quelques jours de mon départ pour le Mexique, l'ami Louis W-O, alors que nous devisions de choses et d'autres, me demanda de saluer pour lui Cravan - si jamais je devais le croiser dans une sierra ou une quelconque cantina...
L'opportunité d'une telle rencontre était voisine de zéro, le monde ayant perdu la trace de cet Arthur là en 1918, au Mexique, certes, mais z'enfin...
À peu près autant de chances que mettre la main sur Benjamin Traven, dont le décès est certes avéré en 1969, mais dont l'existence est tellement confuse de son Allemagne natale à sa disparition mexicaine qu'elle en est devenue presque mythique. Le type nous quand même laissé trois bijoux : Le trésor de la Sierra Madre - dont Huston fera un chef d’œuvre -, Le vaisseau des morts, et Le chagrin de Saint Antoine, pratiquement introuvables en France, pays de culture et royaume des éditeurs et libraires comme chacun sait...
Ami lecteur, cherche, ce ne sera pas du temps perdu...
Et non, je ne prête, ni ne vends, mes exemplaires !
Cravan, lui, est ressuscité ! On l'avait connu Fabien Avenarius Lloyd dans le Paris d'avant-guerre - la vraie, celle de 14 - faux neveu d'Oscar Wilde, poète d'occasion, éditeur précaire, anarchiste officiel, boxeur presque professionnel. Morand l'y voit "ancêtre des contestataires" dans son "Venises". Euphémisme.
Il avait notamment eu maille à partir avec Apollinaire, qualifié par ses soins de "juif et sérieux", sans pour autant se revendiquer d'un antisémitisme quelconque, avouant même "les préférer aux protestants" !
Apollinaire n'apprécia pas, menaça de lui casser la gueule, lui envoya même ses témoins. Ce qui provoqua un rectificatif tout en nuances de l'Arthur : "Monsieur Guillaume Apollinaire n'est point juif, mais catholique romain. Afin d'éviter à l'avenir les méprises toujours possibles, je tiens à ajouter que monsieur Apollinaire qui a un gros ventre, ressemble plutôt à un rhinocéros qu'à une girafe, et, que pour la tête, il tient plutôt du tapir que du lion, qu'il tire davantage sur le vautour que sur la cigogne au long bec".
L'épisode parisien s'arrêtera là. On pistera le zèbre pour le retrouver chauffeur à Berlin, marin sur le Pacifique, homme aux mille métiers et aux mille misères en Californie, Australie, et autres contrées exotiques. Pour, en bout de course, un évanouissement dans la nature mexicaine en 1918...
Le revoilà dans le Paris de 2013 ! Le Figaro - "mâtin, quel journal" - dans son édition du 23 juin courant, retrouve Cravan à l'angle du boulevard St Germain et de la rue du Dragon. Miracle ? Pas tout à fait. Ou alors miracle du business de luxe dans le monde enchanté du méga-capitalisme.
"Six lettres désormais gravées dans la pierre de taille de la facade" du numéro 165 du boulevard, pour indiquer un établissement de 200 mètres carrés piloté par rien moins que LVMH, à la fois bar, club anglais, librairie, atelier d'artiste et kiosque sur le toit. Bref, le monde vu par LVMH : "déambuler au Cravan, c'est comme visiter Londres avec une carte de Berlin".
Ce qui ne signifie rien mais veux dire / vendre beaucoup de choses.
Résultat des courses : "Cravan est maintenant une nouvelle marque dans le portefeuille de Moët Hennessy. Nous espérons que ce sera vite un lieu de référence pour l'univers du bar".
Conclusion du papier du Figaro - "mâtin... - : "Depuis Saint-Germain des Prés, Cravan va pouvoir viser la conquête du monde".
J'aurais donné tous les Aztèques et leur empire pour que l'Arthur puisse lire cela.
Et voir sa tête.
Dire qu'il y a encore de bonnes âmes de gôche pour s'interroger sur les raisons profondes de la supériorité du capitalisme.
Tabler sur l'éternelle et inépuisable connerie humaine pour lui piquer son pognon et le faire fructifier lui suffit.
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