Sainte Thérèse d'Avila, priez pour lui !
Quelques heures passées avec un cauchemar pour woke. Qui, à sa manière, effleure la perfection : misogyne, - il évoque une "sale connasse clitopathe" qui doute de ses qualités littéraires -, misanthrope, raciste.
On l'avait laissé sur ce blog il y a quelques jours lors de ses aventures rolling-stoniennes de la tournée US de 1972.
Le revoici avec ces "Prières exaucées", parues en 1986 mais en gestation depuis 1966 pour une remise du manuscrit au 1er janvier 1968. Promesse sans cesse ajournée jusqu'au 1er mars 1981 en échange d'une avance de rien moins qu'un million de dollars. On a frisé l'escroquerie.
Périodes différentes, registres similaires : langue de pute, potins, cul. Ce qui certes ne suffit pas à faire de la bonne littérature - faut pouvoir inscrire tout ça, et plus encore, sur un fond de noirceur humaine, de pessimisme foncier et de misanthropie en béton. Disons qu'on parvient au moins à quelque chose de divertissant...
On se doute que le roman initialement promis ne fut jamais achevé. Y survécurent quelques chapitres plus ou moins reliftés et traficotés - les manquants dorment sans doute à l'abri d'un coffre-fort en vue d'une publication ultérieure en échange de x millions de dollars ; ou ont été égarés dans une consigne Greyhound du côté de Los Angeles ; ou subtilisés par un amant indélicat... bref, on fera sans.
Capote aura poussé le snobisme à un sommet avec ce titre de "Prières exaucées", tiré d'une citation plus ou moins apocryphe - "je ne l'ai pas vérifiée personnellement , je ne sais pas exactement ce qu'elle a écrit, mais en gros c'était : "On verse plus de larmes pour des prières exaucées que pour des prières non exaucées", précise-t-il suavement.
L'auteur supposé ? Sainte Thérèse d'Avila.
Dont on imagine le collapse si elle avait eu à faire à Capote et à ses écrits. Aux lieux et gens qu'on y croise.
New-York. Cocteau, - "rayon laser ambulant, brin de muguet à la boutonnière. Il me demanda si j'étais tatoué, et quand je lui eus répondu que non, son regard excessivement intelligent s'embua et glissa..."
Sur Garbo, plus tard, coup de grâce : "À propos, je l'ai aperçue l'autre soir chez les Gunther, et je dois avouer que la facade en a pris un coup avec les intempéries, desséchée, éventée comme un temple abandonné, perdu dans les jungles d'Angkor Vat. Que voulez-vous, c'est ce qui arrive si vous passez la plus grande partie de votre vie à n'aimer que vous-même".
New-York, encore. Les sœurs Bouvier, plus connues sous les noms de Princesse Lee Radziwill et Jackie Kennedy, plus tard Onassis. Mondaines de très très haut niveau à la scène comme à la ville.
"On voit que ces filles ont réussi quelques beaux coups en leur temps, observa Lady Ina. Je sais que bien des gens ne peuvent les sentir l'une et l'autre, les femmes surtout, et je comprends pourquoi : elles n'aiment pas les femmes, et n'ont pratiquement rien de bon à dire à leur sujet. Cela dit, elles sont parfaites avec les hommes: une vraie paire de geishas occidentales; elles ont l'art d'attirer leurs confidences, de les aider à se sentir importants.
Jackie ? Non, non, ce n'est pas la même chose. Très photogénique, bien sûr, mais l'effet manque un peu de raffinement, de modération, dirais-je."
Jackie est quand même celle qui connait le plus de succès lors d'un concours de travelos à Harlem : "Des centaines de jeunes homos chaloupaient, serrés dans leurs robes cousues main, sur les couinements mélancoliques des saxophones : employés de supermarchés de Brooklyn, coursiers de Wall Street, plongeurs noirs, serveurs portoricains à la dérive entre la soie et le fantasme, chanteurs de music-hall, caissiers, liftiers irlandais, tout ce monde paradait en Marilyn Monroe, Audrey Hepburn, Jackie Kennedy, cette dernière, noblesse oblige, étant celle qu'on avait le plus cherché à copier : une douzaine de mecs exhibaient une tignasse en pièce montée, des sourcils en aile de papillon, une bouche boudeuse, teintée de pâle.
Coup de griffe au passage à la belle-famille de la dame : " Les hommes du clan Kennedy sont tous pareils. De vrais chiens ! Faut qu'ils pissent au pied de chaque borne d'incendie !"
On traverse la mare pour Paris, le temps d'un petit tour par Tanger, "bout de sculpture cubiste blanche disposé à flanc de montagne, face à la baie de Gibraltar". Exactement ça, du moins avant les gigantesque travaux en cours... printemps suivant, je cherchai sa tombe, sans succès.
Par Venise, point de passage obligé pour tout américain : "Pendant des années j'ai eu un faible pour Venise, j'y ai vécu en toute saison, de préférence à la fin de l'automne et en hiver, quand les brouillards marins se glissent entre les piazzas et quand le timbre argentin des gondoles frémit sur les canaux voilés de brume. Tous les jours, de neuf heures du matin à trois heures de l'après-midi, je travaillais à mon manuscrit.
A trois heures, qu'il pleuve ou qu'il vente, je musardais à travers le labyrinthe vénitien jusqu'à la tombée de la nuit, c'est-à-dire jusqu'à ce qu'il soit temps de glisser vers le Harry's Bar, oubliant le froid pour me couler dans la réconfortante chaleur du feu de cheminée, de la bonne chère et du bien boire de ce palais lilliputien où régnait M. Cipriani. Toujours bondé, le Harry's version hivernale demeure l'asile de fous qu'il est le reste de l'année."
Paris donc, hôtel du Pont-Royal."A l'époque le Pont-Royal avait un petit bar en sous-sol aux fauteuils de cuir qui était l'abreuvoir préféré des grands mammifères de la haute bohème."
Sans pitié pour deux fameux héros officiels de la Résistance :"Un œil noyé, l'autre à la dérive, ce louchon de Sartre, pipe au bec, teint terreux, et sa taupe de Beauvoir, sentant la jeune fille prolongée, étaient généralement calés dans un coin comme deux poupées de ventriloque abandonnées.
Pas plus envers Koestler, "jamais sobre: un nabot agressif toujours prêt à faire le coup de poing".
Une forme de clémence envers Camus, "grêle, soupçonneux, à jamais sur le fil du rasoir par manque d'assurance. Un homme aux cheveux bruns crépus, aux yeux transparents de vécu, au visage inquiet, donnant l'impression d'écouter perpétuellement : une personne abordable."
On change de rive pour retrouver "l'auteur dramatique américain le plus en vogue"- un certain M. Wallace, pseudo bien sûr - "nabot trapu, pansu, bouffi d'alcool, avec fausse moustache collée au-dessus d'une lippe laconique. Le temps avait altéré son physique, jadis relativement présentable. Je ne l'avais vu qu'une fois, il y avait au moins dix ans mais je l'avais néanmoins immédiatement reconnu. (...) La curieuse mise en scène de cette précédente rencontre avait contribué à la fixer dans ma mémoire: elle avait eu lieu à Paris, au Bœuf sur le Toit, où il était installé à une table recouverte d'une nappe rose en compagnie de trois hommes, dont deux tantouses de luxe, pirates corses en flanelle britannique, le troisième n'étant autre que Sumner Welles. Les fans de Confidential se souviendront de ce patricien, ancien sous-secrétaire d'État, noble et fidèle ami des « Chevaliers de la jaquette ».
La scène s'était transformée en un tableau particulièrement vivant lorsque Son Excellence, dans un état de décomposition avancé, s'était mise à mordiller les oreilles corses."
On imagine, on aurait voulu y être... rien pour la réaction des propriétaires des dites oreilles...
Tout cela ne constituant qu'un échantillon des extravagantes aventures de Capote lui-même...
Pour en finir - provisoirement ? - avec lui, on fera un tour du côté de chez Bukowski : "I like to think of what Capote, another bad writer, said about me : he just typewrites. sometimes even bad writers tell the truth".
(Voices, in Burning Water Drowning in Flame, 1974).
"J'aime me rappeler de ce que Capote, autre écrivain médiocre, disait de moi : il ne fait que taper à la machine. Parfois même les médiocres disent la vérité."
Sans doute. Capote, devait martyriser ses machines aussi.
Mais comme Hank, ne fut pas si médiocre que ça.
Dans un autre registre.
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