Rock & Folk, 50 ans après. Épisode XIII.

Avec juin 73 s'entamait le dernier été insouciant, notre ancien monde à nous : dès la rentrée, de Santiago du Chili à la guerre du Kippour, notre existence allait basculer - et ce n'est rien que de l'écrire. 
Plus anecdotique ? 
Non, puisque j'en garde le souvenir précis : François Cevert se tuant lors des essais du Grand Prix des États-Unis. 6 octobre 1973.



En attendant, le cher vieux magazine faisait son énième retour sur la reformation des Beatles - six pages de la plume des frères Volcouve, mais qui se souvient encore de ces gens ? 
Notez bien que les bas du front de 2023 font toujours leurs titres sur le truc, espérant que par la grâce de l'IA le tiroir caisse fera entendre à nouveau son doux chant.
La différence entre les cons d'aujourd'hui et ceux de 73 ? Nous étions plus frais, plus naïfs, plus crétins, moins abrutis aussi. Un peu plus de culture sans doute... médias et éducation nationale n'avaient pas pu complètement nous ravager les neurones.
Beatles donc. Ringo, le plus lucide : "Très peu de chances que nous soyons réunis de nouveau". Lennon : "On s'est rencontré pour discuter du départ de Klein et de la situation de Paul. Et de nos futurs respectifs." Propos d'un DRH de PME ou d'un club de foot semi-pro..."la situation de Paul" !

Sinon, Bowie commence à prendre toute sa place et ses aises, et c'est tant mieux. L'époque veut ça, qui fait se rencontrer au George V Bryan Ferry et Eno reçus en audition privée ( ! ) par Salvador Dali. 
Toujours au George V, cantine du rock moderne : Bowie y fait escale, en provenance du Japon - il descend à peine du Transsibérien... sept jours, sept nuits...
Rappel : nous sommes en France. Et donc LA question : "Quand on s'adresse à vous, David Bowie, faut-il employer "he" ou "she" ?
Bowie déroule, épuisé et inquiet - Aura-t-il son rendez-vous avec Brel le soir même ? - mais d'un professionnalisme absolu.
Le journaliste ouvre son âme : Faut-il "préférer à la vulnérabilité de Bowie, son charme un peu passéiste de danseur russe, le raffinement aristocratique de l'intellectuel Bryan Ferry, son détachement" ?
Vous avez trois heures...

C'est aussi le temps de la célébration du Rock anglais dans ce qu'il avait de plus chiant et prétentieux : ELP, Genesis et Peter Gabriel - ces textes et leurs traductions françaises, niveau cinquième, et encore..., Fairport Convention, qui squattent une bonne moitié du rédactionnel ce mois-là .

On zappe pour y retrouver son bonheur passé : un très long et excellent article sur John McLaughlin - rien que ce titre : "De Graham Bond à Miles Davis" -, un autre, trop bref, sur les frères Allman, un troisième, riquiqui hélas, sur Roxy Music, derniers feux d'Eno dans ce "piège de velours".

Il y avait aussi en ces temps beaucoup de galettes, et de qualité. En vrac, Bowie et son "Aladdin Sane", Leonard Cohen et son premier Live, Terry Reid qui ne se remettra jamais d'avoir refusé le poste de chanteur de Led Zeppelin - il croira se débarrasser d'un Jimmy Page insistant en lui conseillant de recruter un certain Robert Plant... - John Cale et son monumental "Paris 1919" - le pertinent Yves Adrien voit juste : "un album de chansons", et quelles chansons ! -, Faces et leur bordélique "Ooh La La" à la dérive, l'immense Jeff Beck acoquiné avec Bogert et Appice - tout à la fois en un "disque produit, fini, poli", Beck restant à lui fidèle à un"jeu vicieux, dur, violent" puis "on glisse vers les Beach Boys" - plus tard, beaucoup plus tard Beck paiera son tribut à Brian Wilson. 
Et Garnier de conclure : "B,B&A est un disque bizarrement foutu, mais c'est une vraie joie tout de même."

Pour mémoire, Manassas, second album, Stills en avait visiblement épuisé les ressources; et le J. Geils Band. 
Suit une pluie d'imports : Miles - "In concert"; le subtil et délicat Nicky Hopkins, sans lequel les Stones... bref; Herbie Hancock, Isaac Hayes; "le nouvel album-solo d'un enfant qui grandit et mûrit", un certain Michael Jackson; Bo Diddley à Londres, etc.

J'oubliais Wings et son "Red Rose Speedway", évidemment exécuté : "Paul y officie en maître, mais où est passé le merveilleux bassiste des Beatles ?" 
Retour, disparition, on ne s'en sortait décidément pas.
Mais au fait, il n'était pas mort à l'époque Paulo ?

Enfin, pas de numéro sans l'inépuisable et manuel Hamster Jovial,


ni ses "Bricoles" : Paringaux déserte momentanément le Georges V - trop nouveau riche ? - pour le Ritz. Incipit : 

"Au bar du Ritz avant diner, les conquérants s'amusent et font valser les grosses coupures. Monnaie de singe, craque comme des souliers neufs, deux doigts manucurés glissés entre les plis des portefeuilles où luisent les monogrammes. D'un revers de main les mannequins verts refusent la monnaie (croyant ainsi s'offrir tout ensemble l'estime de ceux qui hier encore servaient les rois, un brin de classe et du champagne à en tomber par terre - un rot discret, derrière les doigts), lèvent leur coupe à la santé du vieux monde qu'ils viennent d'égorger.

« Prosit » - on ne saigne plus dehors, sauf au fond de quelques hôtels très particuliers de l'avenue Foch, mais les cris n'atteignent pas les promeneurs sous les marronniers."


L'été 73 pouvait bien venir après tout ça...


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