Flann O'Brien, Ovni irlandais.


"J'irais bientôt dans la terre où vont les morts et peut-être je renaîtrais sous une autre forme, libre, florissant et débarrassé de toutes les misères humaines. (...) Je serais peut-être une influence marine, quelque chose de lointainement maritime, une combinaison inconnue et inédite de soleil, de lumière et d'eau, quelque chose de tout à fait extraordinaire.
Il y a dans le vaste monde des tourbillons de fluide et des existences vaporeuses, métaphysiquement inattaquables, qu'on ne peut ni voir ni interpréter et dont le temps ne passe pas, qui ne valent que par leur incompréhensible mystère et ne sont justifiées que par leur aveugle et absurde incommensurabilité. Peut-être deviendrais-je la qualité première et la quintessence de l'âme d'un tel fluide. J'appartiendrais à un rivage ou je serais l'angoisse de la mer quand elle éclate en vagues de désespoir."
Flann O'Brien, Le Troisième Policier, chapitre X. pp. 204-206.

Probablement l'extrait le moins représentatif - mais respectueux de l'orthographe de la traduction française - de cet ovni, "Le troisième policier", formidable roman irlandais datant de 1940, et pas loin d'être le livre de l'année, du moins pour moi.
La logique aurait exigé un extrait conforme à l'esprit général du bouquin: trop facile ! C'est justement cet esprit général qui exige une mise en bouche (presque) sans rapport aucun. 

L'intrigue est difficilement racontable. Et une grande partie du charme du livre réside dans les conséquentes notes de bas de page, - ouvrage dans l'ouvrage - qui voient intervenir un protagoniste essentiel, génie incompris ou fou à lier, dont on donnerait cher pour lire les oeuvres complètes ! Tâche hélas impossible.. et pour cause(s)... De Selby, proche parent de l'immortel Ignatius J. Reilly d'une fameuse "Conjuration des Imbéciles"... En plus absurde si possible. C'est dire. 
Une sorte de gouffre métaphysique dans lequel sombre toute rationalité, chute scandée par des situations et des personnages d'une débilité parfaite à l'abri d'un sérieux imperturbable : un assassin au daîmon socratique sentencieux, et donc limite casse-burnes, des policiers obsédés de vélocipèdes, bref...
Pour se retrouver quelque part du côté de John Kennedy Toole donc, de P.G. Wodehouse, de Pierre Dac ou du Sapeur Camembert.
Un peu aussi sous le patronage de James Joyce, que ne liait pas à Flann O'Brien la seule nationalité irlandaise.




Commentaires