Dos Passos et Céline, à propos d'Isadora Duncan.

"Un jour, dans un petit restaurant de golfe Juan , elle ramassa un gigolo de belle allure qui tenait un garage et possédait une Bugatti de course.
Sous prétexte qu'elle lui achèterait peut-être sa voiture, elle le fit venir à son studio pour qu'il lui fasse faire un petit tour;
ses amis ne voulaient pas la laisser partir, protestaient qu'il n'était qu'un mécano; elle insista, elle avait bu quelques verres (plus rien ne l'intéressait sur terre que quelques verres et un beau jeune homme) ;
elle monta à côté de lui et
elle jeta son écharpe à lourdes franges autour de son cou en un grand geste qui lui était coutumier et 
se retourna et dit,
avec le rude accent californien que son français n'avait jamais perdu :
"Adieu, mes amis, je vais à la gloire."
Le mécano mit le moteur en marche et démarra.
Sa lourde écharpe qui flottait se prit dans dans une roue, se tendit fortement. Sa tête fut projetée contre le rebord de la voiture. La voiture s'arrêta instantanément; le cou était brisé, le nez écrasé, Isadora était morte."
John Dos Passos, Trilogie USA, La grosse galette (The big money).
La ponctuation et les espaces sont ceux de l'édition Quarto-Gallimard.

Plus tard, Céline lui rendit hommage à sa façon, l'évoquant suite à Elizabeth Craig dans une lettre du 10 Septembre 1947 à Milton Hindus : "Elles sont rares les femmes qui ne sont pas essentiellement vaches ou bonniches, alors elles sont sorcières et fées. Voyez Isadora Duncan. Tout autour d'elle tourne au sabbat."
Louis-Ferdinand Céline, Lettres, La Pléiade-Gallimard, Page 951.


Isadora Duncan, Parthenon Athènes 1920. Edward Steichen, The early Years Portfolio,1901-1927.

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