Borges, dernier feu.


Tant que cette musique durera
nous serons dignes de l’amour d’Hélène de Troie.
Tant que cette musique durera
nous serons dignes d’avoir trouvé la mort à Arbèles.
Tant que cette musique durera
nous croirons au libre arbitre,
cette illusion de chaque instant.
Tant que cette musique durera
nous saurons que le vaisseau d’Ulysse retournera à Ithaque.
Tant que cette musique durera
nous serons la parole et l’épée.
Tant que cette musique durera
nous serons dignes de l’acajou et du cristal,
de la neige et du marbre.
Tant que cette musique durera
nous serons dignes des choses communes
qui ne le sont guère aujourd'hui.
Tant que cette musique durera
nous serons la flèche dans l’air.
Tant que cette musique durera
nous croirons en la miséricorde du loup
et en la justice des justes.
Tant que cette musique durera
nous mériterons ta grande voix, Walt Whitman.
Tant que cette musique durera
nous mériterons d’avoir vu, du haut d’un sommet,
la terre promise.

Dernier poème, écrit la veille de sa mort.
Jorge Luis Borges, Musique grecque, Œuvres complètes, Tome II.

"Allez, la musique." 
Aurait pu ajouter Isidore Ducasse, par ailleurs Comte de Lautréamont.


Dean Russo. Portrait.
Acrylique, huile & spray sur toile.
©Saatchi Art


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