Oh ! Waits a second !

- Tu peux mettre un peu de musique ?
- Bien sûr. Tom Waits ? Tu aimes  ?
- C’est bon ! Oui !



Il s’extirpe  du canapé, pour se diriger vers le meuble dédié aux vinyles. En retire avec précaution le Swordfishtrombones de 1983. Coup de chiffon délicat sur la galette. Puis, légèrement fléchi, tenant celle-ci à deux mains par les extrémités, la cale sur la platine avec le soin d’un poseur de bombes pakistanais.
L’œil droit clos, une précision maniaque de vieil opiomane chinois maniant son trébuchet accompagne la lente descente du saphir sur l’intervalle qui précède le deuxième morceau de la face A - Shore leave.
Satisfait, le voilà qui regagne, résolu, le canapé dans les profondeurs duquel, dépenaillée, chatte, elle se lovait.

Il note bien une légère crispation sur son visage dès le début du morceau. Il met cela sur le compte de l’émotion, d'un reste de pudeur féminine, sans que lui vienne à l’esprit qu'il pourrait s'agir d'une interrogation sur l’opportunité d’une telle musique en un moment aussi... délicat.
Sa connaissance des femmes était si perfectible...

Au fur et à mesure de la progression du dit morceau, il est toutefois troublé par des soupirs qui ne sont pas d’extase, une crispation comme d'une grimace, légère certes, mais enfin..., distrait aussi par une soudaine vivacité dans les quelques caresses persistantes qu’elle lui administre. 
Sur la joue, bien sûr.

À l’entame du morceau suivant - Dave the butcher (rien que le titre...) -, elle se redresse brusquement, se propulse hors du canapé, pour réajuster bas, jupe et soutien-gorge tout en se tortillant sans grâce particulière, se campe devant lui, et le fixe. 
Pas de rage, non. On dirait plutôt d’un léger mépris mêlé de vexation, de frustration et d'agacement d’avoir perdu son temps.

- Tu es vraiment un con, siffle t-elle en guise d’adieu, une entame de sourire aux lèvres.
Et d’ajouter, avant de claquer la porte : de toutes façons, ce n’est pas la période de Tom Waits que je préfère. C’était mieux avant, dans les seventies.

Interdit, il se demande une fois encore ce qu’elles ont toutes à reprocher à la discographie ultérieure  de Tom Waits
Trop de fanfares peut-être...
Éternel mystère des femmes.


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