Go East, young man !
"C'est l'Orient toujours. J'étais né pour y vivre".
À l'âge de vingt-neuf ans, Flaubert réalise son rêve d'adolescent et entame, en compagnie de Maxime du Camp, son voyage en Orient, périple de deux ans de 1849 à 1851, au motif officiel de fournir des données au ministère de l'Agriculture et du Commerce. (!)
Et en fait de données, il ne rapporta rien - il s'en souciait "pas plus que du Roi de Prusse"...
Sur le chemin du retour, halte en Grèce.
Heureux : "Nous casse-pétons de satisfaction d’être à Athènes". Mais nostalgique, déjà.
D'Athènes, du Lazaret du Pirée plus précisément, il ne parle que d'Orient : "C'en est donc fini de l'Orient. Adieu, mosquées. Adieu, femmes voilées. Adieu, bons turcs dans les cafés, qui tout en fumant vos chibouks, vous curez les ongles des pieds avec les doigts de vos mains ! Quand reverrai-je les négresses suivant leur maîtresse au bain ! Dans un grand mouchoir de couleur elles portent le linge pour changer; elles marchent en remuant leurs grosses hanches et font traîner sur les pavés leurs babouches jaunes, qui claquent sous la semelle à chaque mouvement du pied. Quand reverrai-je un palmier ? Quand remonterai-je à dromadaire ?"
Voilà qui ne contribuera pas à le faire bien voir de notre époque woke. Peu importe.
Et son dossier à charge va s'étoffer...
Après les "négresses", le"musulmanisme" !
Dans la même lettre du 19 décembre 1850 à son ami Louis Bouilhet, il note : "L'Orient ne sera bientôt plus que dans le soleil. À Constantinople, la plupart des hommes sont habillés à l'européenne; on y joue l'opéra; il y a des cabinets de lecture, des modistes, etc. Dans cent ans d'ici, le harem, envahi graduellement par la fréquentation des dames franques, croulera de lui seul, sous le feuilleton et le vaudeville... bientôt le voile, déjà de plus en plus mine, s'en ira de la figure des femmes, et le musulmanisme avec lui s'envolera tout à fait."
Et d'ajouter : "Le nombre des pèlerins de La Mecque diminue de jour en jour. Les ulémas se grisent comme des suisses. On parle de Voltaire ! Tout craque ici, comme chez nous. Qui vivra s'amusera !"
La lucidité ne lui manquera pas, plus tard, fustigeant "l'islamisme (qui est en soi une monstruosité)" et espérant, "qu'au nom de l'humanité, on broie la pierre noire pour en jeter les cendres au vent, à ce qu'on détruise La Mecque, et que l'on souille la tombe de Mahomet. Ce serait le moyen de démoraliser le fanatisme", conclut-il. (Lettre du 1er mars 1878).
Comme un sentiment que Flaubert avait bien vu se dessiner Kemal Atatürk, mais pas le retour de flammes de la religion de paix et d'amour, derrière son voile...
Derniers soubresauts ? Les plus violents ?
Mais il conservait toute son admiration aux Arabes : "J'aime ce peuple âpre, persistant, vivace, dernier type des sociétés primitives et qui, aux haltes de midi, couché à l'ombre, sous le ventre de ses chamelles, raille, en fumant son chibouk, notre brave civilisation qui en frémit de rage."
Au nom d'une détestation commune de la société occidentale et du triomphe de ses valeurs bourgeoises...
Je l'imagine face aux torrents de moraline woke d'aujourd'hui...
Salomè, film italien d'Ugo Falena (1910).
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