Rock & Folk, 50 ans après. Épisode IV.

 



Septembre 72, le pauvre petit Marc Bolan en couverture. Second couteau.
Vendeur en ces temps,  ici prétexte à un article - trop long - et une interview - bof ! bof ! - avec Paringaux himself. L’air du temps l'exigeait, qui fait place à un papier facultatif sur l'émergence du "rock camp", essentiellement à la gloire naissante des Cockettes (? !), à base de "vulgarité et bisexualité" ... Y sont associés Roxy Music et Bowie - dont il est permis de dire tout ce que l'on voudra sauf qu'un jour, vulgaires ils furent.
Et qui, sur cette planète, se souvient encore des Cockettes ?

Tout aussi anecdotique, un cahier photos sur les Who, décédés depuis 1971 et l'excellent Who's next ?, agrémenté d'une traduction en français des textes de Tommy (1969) - "Le sorcier du flipper", "la Reine de l'acide", ce genre... le rock EN français quoi !

Anecdotiques toujours, quatre pages sur Country Joe, avec et sans son poisson : titre de gloire : un F.U.C.K. retentissant à Woodstock (1969). C'est tout ? C'est tout.

Grotesques enfin, ces quatre colonnes sur un pensum français se proposant d'"analyser le rock dans son développement historique, musique reliée au contexte social et économique" ! On fera ici l'impasse sur toute une diarrhée verbeuse sur "les problèmes de la musique de l'art et de son avant-garde dans la lutte contre la classe sociale dominante, la bourgeoisie, et son impérialisme économique et culturel " ! Le bouquin parfait pour tout saisir du problème, de Karl Marx à Little Richard ? Pas tout à fait car "vouloir dénoncer le rock comme pillage de la musique noire au nom d'une pureté aléatoire de cette musique" semble un peu excessif.
On passera aussi sur Aretha Franklin, "imposée par l'idéologie dominante parce qu'asexuée", car, pensez-donc, "elle s'accompagne assise au piano" !
Vertigineux de stupidité. Rectifié quelques pages plus loin par un Paringaux en goguette du côté de Montreux pour y voir Roberta Flack, "pareille à quelque princesse en visite, (...) loin des incendies torrides d'une Aretha Franklin" !

Montreux justement : il n'y a pas vu que la nouvelle "Soul sister number one" le Boss... Rien moins que McCartney. Et là, ce serait péché de ne pas retranscrire le récit de LA rencontre !!!  Paringaux donc :
"Je m'apprêtais à traverser la rue pour aller acheter des cigarettes et il y avait du soleil partout. Soudain, au bout de la rue, apparut ce vieux bus anglais peinturluré avec sa plaque "Munich"et sa grande inscription "Wings over Europe". Il s'arrêta devant le Pavillon et je décidai de remettre les cigarettes à plus tard : voir un Beatle en chair et en os valait bien cela (après tout, je suis de cette génération). C'est là que les choses devinrent étranges, tellement peu en rapport avec l'ambiance si tranquille de l'endroit. Paul me regarda par la fenêtre, me demanda son chemin, et, fort aimablement à mon habitude je lui indiquai l'escalier qui mène à la salle. Il pointa alors un doigt vers moi et me cria de l'attendre, il arrivait.
Pourquoi ne l'aurais-je pas attendu, pourquoi me serais-je formalisé de ce ton quelque peu adjudantesque ? L'un des Beatles m'avait parlé, un mythe m'avait parlé (je suis vraiment de cette génération-là) !
Élément très important du décor : une douzaine, pas plus je le jure, de badauds béats, les mains dans les poches et regardant cette drôle de voiture. Paul jaillit de l'arrière, tirant la maigre Linda par un aileron, bouscula deux ou trois personnes et se rua vers moi qui, les mains également aux poches, le regardais venir en souriant peut-être niaisement. Il grossit et grossit dans mes yeux, et Linda grossissait aussi, mais un peu moins car elle était derrière. Et il ne s'arrêta pas, ce fou !
D'un grand coup de paume il me heurta l'épaule et m'envoya dinguer trois pas en arrière. La colère et un peu d'affolement rendaient moins mignonne sa figure en goutte d'huile, moins affectueux ses grands yeux humides. Et il cria "Arrête de sourire comme un con ! Conduis-nous ! "
En anglais, bien sûr.
Je lui répondis beaucoup plus aimablement mais dans la même langue qu'il allait être obligé de trouver son chemin tout seul. Puis je m'apprêtais à traverser vers mes chères cigarettes quand l'un des musiciens (lequel ? ils se ressemblent tous avec leurs cheveux longs) me demanda qui j'étais, de toute façon. 
Je déclinai ma profession et il fit "peuh", ce qui prouve qu’il lisait les journaux."
Homérique. 
Quant à la relation des deux concerts de Wings, après des considérations générales sur le mythe, le rock, et le mythe du rock, convoquant au passage rien moins que Gobineau et Ionesco, exécution en douceur des deux shows de l'ancien Beatle pour l'éternité : le premier "techniquement assez imprécis, le second bien mieux balancé", (...)"une musique pareille à un chewing-gum que l'on étire mollement entre lèvres et doigts et qui commence à perdre de sa saveur sucrée".

McCartney ? Donc Lennon rôde pas loin : coup d'encensoir mensuel - ça devient lassant et je n'y reviendrai plus dans les prochains épisodes - célébrant ici le pathétique double album "Sometimes in New York City" - indigeste en 72, inécoutable cinquante ans après, salué comme une "insertion du rock dans une réalité politique américaine". Lennon reste fidèle, et cela sans démagogie à son rôle de leader spirituel, voulant avec sa partenaire Yoko, construire un rock réaliste opposé à celui qui pourrait être poétique. Le rock au service d'une cause qui voit le tandem JOKO se fondre dans la masse des militants du rock".
Un truc fondamental qui m'échappe encore aujourd'hui : lequel a vendu le plus de tee-shirts, de Lennon et du Che ?

Gaudriole française en passant : Véronique Sanson, tout juste embarquée par Stephen Stills, y va de son avis sur le "rock féminin français" : "Brigitte Fontaine, musicalement, ça ne me touche pas, je n'arrive pas à aimer ce qu'elle fait, mais c'est mieux que Sheila". 
Pas un mot sur France Gall... Là, ça aurait pu devenir vraiment rigolo.

Rayon disques, vaches maigres : Ike sans Tina, Magna Carta (!), Gentle Giant (!!), un Capaldi presto expédié, quelques imports mentionnés à la va-vite ( Van Morrison, Gene Clark ).
Le lecteur encore éveillé l'aura compris : ce ne fut pas un numéro mémorable. Enfin, un peu il le fut grâce à l’excellent Gotlib et son Hamster Jovial aux prises avec le Captain Beefheart,


à des "Bricoles" magnifiques - on conclura là-dessus.
Et à deux concerts new-yorkais de légende : à l'affiche, Elvis et les Stones. 1972...

Elvis donc, au Madison Square Garden. Le musicalement correct de l'époque semble exiger une démolition en règle du public : "Femmes en perruques fantaisie, robes-pantalon en crêpe jaune dont le haut évasé découvre la naissance de leurs seins; blouses en dentelle synthétique semi-transparente, soutien-gorge à baleines en dessous robes longues fendues sur le côté à partir du genou; hanches grasses, maquillage épais. Les hommes portent des chemises à manches courtes bariolées, des vestes de combat bidon, des rouflaquettes, des joues bleues et des toupets gominés, des boucles de ceinturon et des bracelets de montre énormes. Beaucoup de couples où la femme pèse quinze kilos de plus que son mari."
Bref de gros ploucs "venus du Bronx, du Queens ou de Brooklyn pour passer la soirée à Manhattan". Heureusement, quelques blocks plus haut dans la ville, resplendissent les révolutionnaires chics de JOKO, ceux qui doivent changer la musique, et tant qu'à faire, le monde...

Quid du King ? Raccord avec son public : "Elvis entre, (...), caricature de lui-même, vêtu de blanc, pantalons cloutés d'or largement évasés, (...) fait tournoyer une cape comme un catcheur d'opérette puis la tend à un caddie (!), révélant une veste à col montant également cloutée de rangs d'or. (...) A côté de lui, les guitaristes sont vêtus de bleu".
Musique ? Quelques considérations sur la culture du burger dans les fifties, une description d'un type "remuant la jambe, puis qui tombe sur un genou en se prenant la cuisse avant d'offrir son profil au public, d'un côté puis de l'autre."
Et à la fin, comme toujours, "Elvis a quitté le bâtiment".
Vu. Un gros plouc venu de Tupelo s'adressant à d'autres gros ploucs. 
Qui, en passant, a révolutionné la musique et changé le monde. Lui.

Dans le compte-rendu bas de gamme, l'estimable revue creuse un peu plus dans le même numéro. Avec les Stones. Pas de mépris de classe gauchisant, mais l'ébahissement d'un ahuri à New-York.
Le neuneu s'y trouve donc, invité par WEA. "D'immenses gratte-ciels dont le pied est caché par les arbres ( ? ), un "Park où l'on a l'impression d'avoir réussi à s'échapper des rues pièges et de l'écrasement des buildings", voilà qui parvient sans peine à nous convaincre qu'on n'est pas chez Céline ni Dos Passos !
Suit un cocktail chez le label : le niais se la joue branché, évoquant au passage Andy - "en jean déchiré" -, Dylan - "en chemise à carreaux et chapeau de paille" -, le tout au son des orchestres de Muddy Waters et Count Basie... 
Va en avoir des choses à raconter de retour dans sa banlieue, Ducon !
Le concert ? De nouveau le Madison Square Garden, "dont les dimensions sont assez proches de celles de la Maison de l'ORTF (!) ou du Parc des Princes". Références qui suffisent à situer un mec.
Laissons le niais pour rappeler l'affiche : Stevie Wonder ouvre pour ce qui était effectivement en 1972 "le plus grand groupe de rock du monde". Somptueuse, évidemment. En écoute partout sur la toile.
Retour final et conclusion du neuneu : "Les Stones, qui touchent bien entendu des royalties sur chaque objet vendu, tirent la langue au monde entier".

Chose promise : on termine sur la mention de "Bricoles" haut de gamme. Paringaux survole. 
Juste l'incipit, cerise sur ton gâteau, héroïque lecteur, pour ta patience face à un trop long papier :
"Elle secoue la main au revoir, parfum de jasmin remué en souvenir parmi l'odeur de toutes les gares, amère. Quelqu'un part".

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