Dylan, Warhol, Elvis.

 
Dès l'ouverture de la première Factory - la "Silver Factory" - en 1964, et 
jusqu'en 1966, Warhol tourne de très court-métrages, portraits en plans fixes d'inconnus et de célébrités, sans bande-son, d'à peine quelques minutes. Plus de cinq cents de ces "Screen tests" sortiront de la Factory, certains d'entre-eux devenant cultissimes...

Star incontestée du genre, Edie Sedgwick voisine avec le tout venant croisé dans la rue et la crème du monde de l'art et des célébrités qui éblouissent tant Andy, de Dali à Dennis Hopper, de Duchamp à Nico, évidemment.
Et Dylan. Qui se prête à l'exercice en juillet 65.

L'intérêt de Warhol pour Dylan ne tient qu'à une seule chose : sa fascination pour la rapidité avec laquelle un jeune chanteur au physique quelconque, à la voix incertaine, à la musique si datée - du folk ! - a pu accéder à un statut de superstar, seule valeur qu'il reconnaît, valeur marchande et plus.

Superstar, Dylan l'est depuis peu. Il vient d'électrifier sa musique lors de sa prestation au festival de Newport, sous les huées de tous ceux qui en avaient fait le "la voix de sa génération" au motif des quelques textes "engagés" qui avaient fait sa première gloire. "Elvis avait donné un sexe au rock,  Dylan lui donne un cerveau" : les auteurs de slogans publicitaires avaient frappé juste, et Dylan se retrouve dans un Olympe d'où il ne redescendra plus.
Jusqu'à décrocher un Nobel de littérature, là encore sous les huées.
Son manager, l'avisé et roué Albert Grossman, ("Dear Landlord" ... ) le persuade du bien-fondé - "pour ton image, Bob" - d'une visite à la Factory, sous l'œil des caméras bien sûr...



Dylan n'a jamais semblé impressionné par le travail artistique de Warhol, mais plutôt bluffé par son habileté à s'imprégner de tout son environnement new-yorkais pour le transformer en dollars, une habile utilisation des médias et du snobisme délirant des très riches aidant. Par son cynisme aussi, qui lui évite toute l'hypocrisie qui le ferait s'abriter derrière l'alibi de l'Art et de son grand "A" : un type qui a le front et l'intelligence d'affirmer que "l'art suprême c'est le business" est toujours intéressant à connaître.

Tour du propriétaire, passage obligé du tournage du screen-test : Dylan fait la gueule - on est en 65... - et semble n'avoir comme idée que de prendre Warhol à son jeu.


Warhol, lui, est comblé : le fameux Bob Dylan rejoint les autres dans sa galerie de stars, passeport pour toute la culture et contre-culture rock qui est train de révolutionner l'Occident. Et, de bonne humeur, se montre particulièrement flatté de l'intérêt de Dylan pour la série des "Triple Elvis" qui datent de 1963.




Bingo ! Faisant mine de croire que Warhol lui en fait cadeau, et l'autre n'en pouvant mais, il accepte d'emporter l'œuvre comme rémunération pour sa participation au screen-test.

Piégé, meurtri d'avoir trouvé son maître dans l'arnaque, Andy fait contre mauvaise fortune bon cœur, et, royal, lui offre un exemplaire du triptyque, poussant même le masochisme à immortaliser Dylan et Grossman dans la rue, fourrant le tableau dans le break de ce dernier !



Mais avec Dylan, rien n'est jamais terminé... On a dit plus haut l'intérêt mesuré qu'il portait au travail de Warhol : il le confirmera en donnant le tableau à Grossman en échange de son break !

L'œuvre appartient aujourd'hui au MOMA de New-York, don d'un riche particulier qui lui-même l'avait acquit de etc. etc.

Dylan, lui, trouva sa véritable consécration en voyant Elvis enregistrer trois de ses titres -  “Don’t think twice, it’s all right,” “Tomorrow is a long Time” et “Blowin’ in the Wind” - plutôt que dans sa brève, mais lucrative, participation au cirque warholien.

Il aura bien plus tard l'occasion enfin de rencontrer Elvis à Las Vegas, en 1970. 
Ou pas ?
Rien n'est jamais terminé, vous dis-je.

P.S.: On s'en voudrait d'abuser de la patience du lecteur méritant parvenu jusqu'ici. La réalité de la non-rencontre avec Elvis lui sera narrée... un autre jour...


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