Un plat très froid.


Seconde plongée dans la correspondance entre Charles Baudelaire et sa mère, et cadeaux pour toutes les victimes du littérairement correct depuis un siècle et demi : deux passages consacrés à Victor Hugo et sa famille.

Comme le montrait avec son souci permanent de la nuance le Capitaine Haddock, il est des vengeances suaves, seraient-elles œuvres de tiers. 
Et quand le tiers se nomme Baudelaire...

Nous sommes donc à Bruxelles, en mai 1865. À la plume, Baudelaire : "J'ai été contraint de dîner hier chez Mme Hugo, avec ses fils. (Il a fallu emprunter une chemise). - Mon Dieu ! qu'une ancienne belle femme est donc ridicule quand elle laisse voir son regret de ne plus être adulée. - Et ces petits messieurs, que j'ai connus tout petits, et qui veulent diriger le monde ! Aussi bêtes que leur mère, et tous les trois, mère et fils, aussi bêtes et aussi sots que le père ! - Ils m'ont beaucoup tourmenté, m'ont beaucoup tracassé, et je me suis laissé faire comme un joyeux bonhomme. - Si j'étais un homme célèbre, et si j'étais affligé d'un fils qui singeât mes défauts, je le tuerais par horreur de moi-même.
Mais comme tu ne connais pas les ridicules de tout ce monde là, tu ne peux comprendre ni mes rires, ni mes colères".

Plus tard, dans une lettre du 03 novembre de la même année, l'exilé revient sur le sujet: "Victor Hugo qui a résidé pendant quelque temps à Bruxelles et qui veut que j'aille passer quelque temps dans son île, m'a bien ennuyé, bien fatigué. Je n'accepterais ni sa gloire ni sa fortune, s'il me fallait en même temps posséder ses énormes ridicules. Mme Hugo est à moitié idiote, et ses deux fils sont de grands sots. 
- Si tu avais envie de lire son dernier volume (Chansons des rues et des bois), je te l'enverrais tout de suite. Comme d'habitude, énorme succès comme vente. - Désappointement de tous les gens d'esprit après qu'ils l'ont lu. - Il a voulu cette fois, être joyeux et léger, et amoureux et se refaire jeune. C'est horriblement lourd.
Je ne vois dans ces choses-là, comme en beaucoup d'autres, qu'une nouvelle occasion de remercier Dieu, qui ne m'a pas donné tant de bêtise."

Baudelaire faisait montre en l'espèce d'une constance certaine dans le mépris. Un courrier du 8 janvier 1860 à un destinataire inconnu, et révélé récemment par Antoine Compagnon, en témoigne : "V. Hugo continue à m'envoyer des lettres stupides. Cela m'inspire tant d'ennui que je suis disposé à écrire un essai pour prouver que, par une loi fatale, le génie est toujours bête".
Il avait cependant pris le soin de biffer dans ce même courrier les mots suivants : "Vraiment il m’emmerde !".

Ce qui synthétisait parfaitement son propos.
Et, plus accessoirement, anticipait notre ressenti...

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