Robert Zimmerman et son Gitan.

Bien sûr, il y a la photo...



... mais l'authenticité d'une photo... Pfff !
Et on sait, depuis Nietzsche au moins - dont la pensée, sur ce point du moins, a été récemment confortée par Donald Trump - qu'"il n'y a pas de faits, seulement des interprétations".
Voilà qui nous avance.

Certes, le fait d'établir de façon certaine si Dylan a effectivement rencontré Elvis n'a d'importance que pour les aficionados du premier.
Certes, on imagine que les admirateurs du King s'en tapent.
Mais le point mérite d'être établi eu égard à l'importance des deux lascars dans la culture, pop et plus, des quelque soixante-dix années ( ! ) qui viennent de s'écouler.
Car si tout le monde est d'accord sur l'identité des deux protagonistes, le lieu de la rencontre, sa date au jour près - janvier 70 -, personne n'est en mesure de certifier qu'elle eut effectivement lieu.

Pérennité des brouillards dylaniens. Un rewind s'impose.

“When I first heard Elvis Presley’s voice I just knew that I wasn’t going to work for anybody and nobody was going to be my boss. Hearing him for the first time was like busting out of jail.”
Elvis l'avait donc sorti de sa prison d'Hibbing, Minnesota, lui avait appris à être libre à jamais... la dette serait éternelle.

On parle là de l'Elvis des années cinquante, jusqu'à son départ à l'armée en 58. Rien d'original donc chez Dylan : l'ouragan venu de Memphis a changé la vie de dizaines de millions de personnes, et pas seulement aux USA. 

Mais il n'y a qu'un Dylan.
Qui comme tout le monde, a laissé tomber Elvis englué dans des tonnes de mélodies sirupeuses et ineptes, perdu dans une série de films tous d'une nullité abyssale - il peut arriver qu'on soit gêné pour lui en tombant sur une ces pellicules - , balayé par les groupes anglais... et par les mots et la musique de... Dylan.
Qui pourtant n'a jamais oublié.
1966 : Elvis enregistre sa première reprise de Dylan, "Tomorrow is a long time". L'ado des années cinquante est tétanisé : "De toutes les reprises de mes chansons, une seule est un trésor pour moi" ( "the one recording I treasure the most" ) dira-t-il cinq ans plus tard dans une interview à Rolling Stone.
Dans la foulée, il s'attèle à l'écriture d'une chanson spécialement destinée au King et demande à son producteur de l'époque de la lui faire parvenir. Jamais il n'y eut la moindre réponse - on pense généralement que le Colonel Parker mit directement au panier ce qui était sans doute "Tell me that's it isn't true" -.
Et c'est tout. Ou presque.

Car s'il y eut la photo, il y eut surtout la chanson : "Went to see the gypsy", qui figure sur le New Morning de 1971, ici dans une version récemment apparue de manière officielle dans le dernier volume paru des fondamentales Bootleg Series.



Went to see the gypsy
Stayin’ in a big hotel
He smiled when he saw me coming
And he said, “Well, well, well”
His room was dark and crowded
Lights were low and dim
“How are you?” he said to me
I said it back to him

I went down to the lobby
To make a small call out
A pretty dancing girl was there
And she began to shout
“Go on back to see the gypsy
He can move you from the rear
Drive you from your fear
Bring you through the mirror
He did it in Las Vegas
And he can do it here”

Outside the lights were shining
On the river of tears
I watched them from the distance
With music in my ears

I went back to see the gypsy
It was nearly early dawn
The gypsy’s door was open wide
But the gypsy was gone
And that pretty dancing girl
She could not be found
So I watched that sun come rising
From that little Minnesota town.


Tout s'éclaircit : encouragé par une belle danseuse, Dylan rencontre Elvis dans son hôtel après un concert à Las Vegas, fan parmi d'autres fans dans une suite surpeuplée, fan transi sur lequel se pose le regard du King, ironique - "Tiens... tiens... ! "- et souriant : "comment vas-tu ?" 
Le temps de passer un coup de fil, quelques instants à s'abandonner au spectacle du flot des voitures sur le Strip, Dylan retourne dans la pièce... "but the gypsy was gone"... envolé le Roi... envolée la danseuse.
Reste le spectacle d'un lever de soleil sur une toute petite ville du Minnesota, Hibbing, celle de son enfance.

Encore moins avancé qu'auparavant. 
Et comme tout cela n'est pas assez confus, Dylan livre sa vérité, beaucoup plus tard dans une interview à Rome en 2009 : " Je n'ai jamais rencontré Elvis parce que je ne voulais pas rencontrer Elvis" ( "I never met Elvis because I didn't want to meet Elvis" ). 
Et développe longuement sur un évènement qui n'eut pas lieu : échaudé par la relation de la rencontre entre Elvis et les Beatles ( Immortel Ringo : "Elvis avait l'air moins impressionné que moi..." ) que lui avait faite George Harrison (" ‘cause George
told me about the scene.  I know the Beatles went to see him, and he just played with their heads." ) et qui avait tourné au foutage de gueule, Fab Four ou pas ! 
"Elvis was truly some sort of American King".
Donc, très peu pour lui.
C'est au contraire Elvis qui voulait le rencontrer ! : "Two or three times we were up in Hollywood, and he had sent some of the Memphis Mafia down to where we were to bring us up to see Elvis. But none of us went. Because it seemed like a sorry thing to do." 
Refus persistant donc. Ni mépris ni négligence, seulement de la tristesse : "I wanted to see the powerful, mystical Elvis that had crash-landed from a burning star onto American soil. The Elvis that was bursting with life. That’s the Elvis that inspired us to all the possibilities of life. And that Elvis was gone, had left the building."
Elvis avait en effet, selon la formule rituelle à la fin de chacun de ses concerts, "quitté le building".

L'homme qu'il avait rencontré à Las Vegas - car il rencontra sans doute en janvier 1970 un chanteur nommé Elvis Presley dans un hôtel de Las Vegas - n'était plus l'Elvis Presley de son adolescence, son libérateur.

L'Elvis des années soixante-dix, il le revit, mais sans le rencontrer, en assistant en compagnie de son épouse à un concert au Madison Square Garden de New-York en juin 72.
Puis plus rien.

Une petite chose cependant, à la mort du Roi, en août 77 : " One of the very few times in my whole life, I went over my own childhood, I didn't talk anyone for a week after Elvis died".
Et de conclure : "If it wasn't for Elvis and Hank Williams I couldn't be doing what I do". On aurait moins bien vécu, Bob...

Jamais romantique, toujours sentimental, Dylan.
Qui n'avait pas rencontré son Elvis à Las Vegas. 
Mais pu revoir le jeune Robert Zimmerman.
Qui lui pouvait fort bien le faire rêver encore d'une rencontre avec un gitan.








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