Rock & Folk, 50 ans après. Épisode V.


Et donc en cet octobre 1972, comme les feuilles mortes, de grands disques se ramassent à la pelle dans les colonnes du cher vieux magazine.
Pour faire court, et garder une juste appréciation des choses - car ce n'est que du rockn'roll... même si... - on nommera "grands disques" ceux qui se laissent écouter cinquante années passées sans honte ni gêne, encore pourvoyeurs de souvenirs et d'émotion. Les miens.
On laissera le qualificatif de "chef d’œuvre" dans la fange critique où l'ont fait tomber paresse intellectuelle, inculture, incompétence et culte du $$$$, pour ne se soucier ici que de plaisir.

Côté galettes noires donc : The Kinks, sous-évalués parce que sans doute les moins putes - personne, dans aucun autre groupe, scarabées exclus, ne soutient la comparaison en termes de qualité d'écriture avec Ray Davis - rien que ce titre acide et cynique de l'album, warholien en diable -"Everybody's in showbiz' everybody's a star" - et son joyau"Celluloid Heroes" - j'en connais, bouffons qui déblatèrent à longueur de vie ou de colonnes sur le cinéma, qui ignorent même jusqu'à l'existence de ce bijou...

Van Morrison, "Saint Dominic's Preview", énième grain du l'incroyable chapelet de ses albums Warner. Absolument rien à jeter. Le plus convenu envahira plus tard, les eighties venues.

Rod "the Mod" Stewart, se partageant désormais entre une carrière solo et des aventures débraillées avec les Faces - "Extraordinaire Rod Stewart" comme le soulignait le verso des pochettes du Jeff Beck Group - alignant quatre ou cinq albums impeccables chez Mercury, ici "Never a dull moment" avant le Niagara des dollars qui l'attendait de l'autre côté de la mare. Qui reprenait en ces temps Dylan avec plus de sensibilité que Rod Stewart, piochant toujours des perles dans les morceaux moins connus du déjà conséquent répertoire dylanien ? "S'il y a un type dont je chante bien les chansons, je crois, c'est Bob Dylan." Vrai.

On le retrouve dans le journal - quatre pages d'interview traduites du Melody Maker - Rod, modeste as usual, se pousse du col au point d'asséner, tranquille, que"les Faces étaient au niveau de Sticky Fingers" ( ! ) - quelqu'un pour lui rappeler que dans son groupe il y avait Ron Wood et dans l'autre Mick Taylor ? - détail... 

On y ajoutera un Live du Band, un Eagles première manière, là aussi avant les kilotonnes de poudre blanche et de dollars, une compilation plus que décente de Clapton période Yardbirds / Blind Faith et début de sa carrière solo - "God", en effet... - , autre compilation, celle des Who pré-Tommy, haut niveau donc.

Et le tout venant qui aujourd'hui... Ten Years after, Peter Frampton, un Hendrix - "War Heroes", bandes exhumées et traficotées, mais bon, Hendrix post-mortem vaut largement tous les... ou les... qui vous viennent à l'esprit.

On pourrait s'arrêter là. Mais rock & folk c'était du papier.

Un "Bricoles" hispanique de haute tenue, un de plus, bannissant toute virgule - Incipit :"Il reste là longtemps après que tout soit fini assis sur le dernier des gradins qui escaladent le ciel noir perdu dans un océan d'épluchures et de cigares éventrés" - ;

Un Hamster Jovial hautement prémonitoire :



Deux pages - les premières ? - du futur immense Philippe Garnier - sur un dessinateur oublié - de moi en tous cas, mais ai-je seulement su un jour son nom, Dan O'Neil ? La traque du détail, déjà.

Un excellent premier article sur des jeunes gens prometteurs, Roxy Music à l'émouvante pochette du premier LP, avec Eno en produit d'appel jugé plus vendeur que Bryan Ferry, qui dès lors ne tardera pas à le virer - c'est la vie.

Un interview de McLaughlin, qui avait très vite compris de quel côté se tenait la musique - Miles... - et de quel côté l'imposture, et une autre, anecdotique, avec le toujours anecdotique Country Joe.

Huit pages de jazz - "le jazz aujourd'hui, encore classique, parfois rock, free bien sûr, mais imprévu" - avec comme prétexte le festival de Chateauvallon où l'on retrouve "John McLaughlin, l'extraordinaire technicien qui ne sut pas retrouver la fièvre qui anime ses meilleurs albums" - pas "God" lui pour le coup.

La couverture et douze pages sur la Fête de l'Huma - fut un temps où... - "kermesse aux étoiles" dominée par les Who avec un "Won't get fooled again" qui devait sonner bizarrement aux oreilles du "Programme commun" ( ! ) alors qu'il n'était qu'avertissement - l'arnaque, ce sera neuf ans plus tard, en 1981.

Une ode de quatre pages de Paringaux à son Zappa chéri, avec un démarrage en trombe : "Il faut le reconnaître, l'interlocuteur favori de la rock music n'a jamais été l'intellect". Il avait tout compris le boss : la raison d'être première du rock, et à bien y réfléchir sa seule, résidait dans le jeu de hanches d'Elvis. Point. (Presque) tout le reste est superflu, la suite l'a montré.

Un papier aussi emmerdant que son objet : le cinéma de Warhol, ici "Trash" qui sort à Paris. Clichés intello-chics touche-pipis habituels : "Mais Trash, c'est aussi la ville, la monstrueuse perversion-dégradation qui s'y installe, derniers soubresauts, pareils à ceux de l'avant-guerre en Allemagne. Berlin 36 et Marlène Dietrich, New York 72 et Joe Dalessandro : mêmes masques d'une beauté artificielle, celle du vide et de la mort, mêmes anges noirs et bleus fascinants."

On passera sur le désormais comique des traductions de textes anglais en français : les Byrds n'y coupent pas avec un "Eight miles high" devenu "Sublime à huit miles"... J'imagine une reprise par Johnny... "Sublime à huit miles, et lorsque tu redescendras, tu trouveras ça plus bizarre que normal". Ahurissant.

Côté bouquins, rien. Si ce n'est le "Gauchisme de Park Avenue" : À la plume Tom Wolfe, qui croque Bernstein, Phil Spector, Hugh Hefner et les surfers californiens... "Croque" est bien le mot...
Et la chronique de la réédition de "Tintin au pays des Soviets": "la naïveté du graphisme ajoute à la géniale simplicité de l'argumentation et de la démonstration une touche délicieusement vieillotte et démodée".
Z'ont pas dit fasciste, c'est déjà ça...


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