Néron, contemporain.

"Néron, avec une impétuosité si calculée qu'elle eût semblé naturelle à qui ne le connaissait pas, serra Sénèque dans ses bras velus de poils rouges.

- Sénèque ! Toi, ma conscience ! Me séparer de toi ! Tu es mon père, Sénèque ! Je te dois bien plus que tu ne me dois ! On trouve naturel de donner des terres à un soldat méritant, pourquoi pas à un précepteur de valeur unique ? Sans compter que si je reprends tes biens, on m'accusera de rapacité, bien que je partage ton indifférence à l'égard de l'opulence. La question n'est pas là, mais dans mon coeur : si tu m'abandonnes, qui me corrigeras de vices que je connais mieux que personne ? Qui me protégera des passions ? Sénèque, regarde en arrière, vois le chemin par nous deux parcouru... Les tristes accidents dont ma jeunesse fut témoin, nous les avons subis en même temps. Quand je tremblais, je te voyais intrépide. J'ai besoin de toi plus que jamais !

- Tu fus un bon enfant, Néron. Tu détestais les supplices...

- Attention ! Mes prédécesseurs  n'osaient que des supplices à la hauteur de leur âme. Rappelle-toi : ce n'étaient que décollation, flagellations, pendaisons, crucifixions, écartèlements... Pouah ! Les règnes de Tibère, de Caligula, c'est un bruit de fouet, de roues... Par Hercule, le supplice reste un instrument de règne, mais seule la torture morale convient aux délicats: faire cohabiter sur le même triclinium des convives qui se haïssent, humilier un vaniteux, rappeler son passé à un homme capable de tout pour le faire oublier, c'est aussi raffiné que de donner à lire un menu à un affamé, ou de séparer des êtres qui s'aiment. Il faut faire saigner ; mais sans effusion de sang. Ma bonté ne va pas au delà, Sénèque. Toi seul es bon !"

Paul Morand, Un amateur de supplices, Les écarts amoureux. 1974.

"Aucun meurtre ne fut plus agréable à Néron que celui de Sénèque", avait autrefois noté Tacite...

"Faire saigner sans effusion de sang" : voilà un slogan prometteur pour les réjouissances que le siècle numéro 21 devrait en toute logique - mais la logique, en histoire... - vous offrir.
C'est à ce genre d'attentions humanistes qu'on reconnaît les progrès immenses des civilisations. Culture...
Restent donc sueur et larmes. Faut pas trop en demander non plus...



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