Steiner, Céline, Sartre.

Dans le deuxième d'une série des cinq entretiens accordés par le grand critique - entre autres qualités... - George Steiner à Laure Adler ( tout cela est disponible en podcast sur France Culture, et hautement recommandé ), Steiner évoque Céline et Sartre. Et, le paradoxe n'étant qu'apparent, il semble, intellectuel juif et - pour faire court - "de gauche"- qu'il était, être plus sévère pour le second que pour le premier.

Céline donc, "un génie, magicien de la langue française", "médecin à l'immense pitié humaine", avec cette interrogation pour lui sans réponse : "Comment le même homme - "qui veut massacrer les Juifs" -  a-t-il pu écrire "Voyage au bout de la nuit" et plus tard la trilogie allemande - "une merveille shakespearienne" -  et "Bagatelles pour un massacre et les Beaux Draps"

Il va sans dire qu'il garde toute son admiration à l'écrivain :  "La langue française se divise entre Proust et Céline". 
Et au médecin aussi...

On peut le trouver plus sévère avec Sartre, dont il salue la valeur des écrits philosophiques - une charité sinon chrétienne du moins hébraïque lui interdisant d'évoquer la médiocrité de l’œuvre romanesque...

Ainsi il relate l'expérience vécue par deux de ses auditeurs à l'Université de Pékin, infirmes car torturés par les Gardes rouges de Mao lors de la fameuse "Révolution culturelle", qui avaient réussi à faire passer une lettre à Sartre en qui ils voyaient un "nouveau Voltaire" dans laquelle ils l'alertaient sur leur situation et celle de la Chine en ces temps glorieux.
Sartre avait écarté tout cela d'un geste méprisant, en tant qu' "inventions de la CIA" alors, insiste Steiner, qu'il était parfaitement au courant de la situation en Chine. On imagine sa déception, et plus, eu égard à son statut politique d'"homme de gauche", et dès lors, ontologiquement incapable d'une telle vilénie !

Steiner revient ensuite sur Céline avec un mot de Sartre à la fin de sa vie intellectuelle. Benny Lévy, intellectuel de très haut vol qui fit plus que l'accompagner en cette période d'enténèbrement mystico-politique, dit à Sartre que ce sera "le siècle de Sartre". Réaction de celui-ci, "fâché" :  "Vous ne comprenez pas qu'il n'y a qu'un seul de nous qui va vivre ? Céline."

J'y vois pour ma part, avec cette admiration qui le mortifie - on a quitté là, le simple terrain de la jalousie - la source de l'accusation abjecte lancée à l'encontre d'un Céline en exil, d'avoir été "payé" par les Allemands pour ses pamphlets.
Il savait bien lui, où était le génie littéraire. Dont il fut dépourvu.




N.B. : Pour répondre à une question que tu ne m'as pas encore posée, vétilleux lecteur, je ne sache pas que notre George Steiner ait un lien quelconque avec le John Steiner, chauffeur germano-mexicain de "Cent mille dollars au soleil" d'Henri Verneuil. On suppose plutôt à ce Steiner-là une parenté philosophie et politique avec Heidegger. 
Du côté du nazisme, bien sûr.



Commentaires