Rock & Folk, 50 ans après. Épisode VII.


Gilmour en couverture, beau gosse et guitariste reconnaissable entre mille : Pink Floyd est sur le toit du monde en cette année 1972, le partageant avec Led Zeppelin. Et ce n'est qu'un début... 

Tout cela est vendeur en diable, prétexte à deux petites pages et deux photos consacrées à un fameux concert à Pompeï devenu vite légendaire, bootlegs et vidéos aidant. Dans l'attente d'un "Dark side of the moon" ravageur...
Pour Led Zeppelin, un peu plus et mieux  traité- le boss Paringaux tient la plume -, en route pour son cinquième album - "Houses of Holy", avec, tiens donc, le même designer que Pink Floyd - moins dévastateur que les précédents, sorte de palier dans une carrière monstrueuse. Paringaux, ami personnel de Page durant toutes ces années et après, demeure lucide : "Plant ne sera jamais Jagger ni Page Hendrix". Reste que...

Mais ce qui domine dans ce numéro de décembre 72, plus flagrant avec un recul de cinquante années ( ! ), c'est ce sentiment de voir le rock tout en haut du toboggan qui l'attend. 

Ainsi, côté disques, recensés ou annoncés, une écrasante domination de simples rééditions - Chuck Berry, Fats Domino, Bo Diddley, Jerry Lee Lewis, Buddy Holly, Gene Vincent et toute une kyrielle de bluesmen, anciens répertoires aux nouveaux emballages -, de collections - Animals, Georgie Fame, Nice (déjà !), Manfred Mann, vieux trucs excellents et fonds de tiroir - et, plus fort, relance de très grands noms en goguette du côté de Londres avec la crème des anglais en backing group : le catalogue Chess, Muddy Waters et Bo Diddley en tête, vieux trucs aux habits nouveaux. Inférieurs aux originaux, est-il besoin de préciser ?
Sans oublier un chef d'œuvre absolu : "Astral Weeks" en édition low price. Crève cœur quand on songe que tous sont passés à côté à sa sortie.

L'industrie vit sur son fonds de commerce, ce qui permettra au passage à des millions de jeunes gens de se faire une éducation musicale. 

Car côté nouveautés, vaches maigres : un Santana plus sophistiqué - "Caravanserai" - un Live du J. Geils Band, Mott the Hoople relifté par Bowie - "All the young Dudes" - stop. Ah si !, et sans ironie aucune, un Dick Rivers en langue anglaise, sommet de yaourt on suppose, sur lequel s'excite Paringaux et qu'on aimerait découvrir - au titre croquignolet "Rockin' along the River's country side" !

Un peu d'air frais du côté de ces imports Givaudan aux prix stratosphériques qui faisaient saliver : Stevie Wonder, Miles -"On the corner" - Kristofferson et Rita Coolidge de son côté, un merveilleux Ry Cooder - "Boomer's Story". Et une palanquée de galettes jazz.

Rayon fraternité musicale de la grande famille du Rock, il y en avait au moins un qui avait compris le film depuis le temps - premier enregistrement chez Sun en 1950 ! Après s'être fait arnaquer durant tant d'années, Ike Turner s'est fait maquereau à son tour, empilant disques et tournées avec sa protégée, épouse et souffre-douleur, Tina of course, et ses poules, sur scène, à portée de main et pas seulement : "À mon avis, j'ai largement payé mon tribut. Nous avons beaucoup moins de problèmes aujourd'hui, et ça me semble mérité. Autrefois, nous jouions dans des endroits bondés, et il arrivait qu'avant la fin du spectacle le promoteur fasse disparaître la caisse et dise ensuite qu'elle avait été volée ou des trucs du même style. Ce sont des choses qu'on apprend, c'est ce que nous appelons « payer son tribut ». Maintenant, je demande 50 % du cachet à l'avance, et les autres 50 % juste avant de monter sur scène. Comme ça, je ne crains plus rien".
Tina, entre deux roustes et deux feulements, a compris elle aussi, et se fera la malle, sans un dollar en poche, mais avec un avenir solo radieux et une fin de carrière en ... Suisse, fortune faite. En attendant elle s'essaie à l'écriture sous l’œil rigolard du patron : "Si elle arrive à écrire trois chansons par semaine, nous produirons de bons albums". Le turbin toujours...

Musique ? Si on veut... Les Flamin' Groovies, "le groupe qu'il fallait à la France" ( ! ) "pour un concert organisé par le magasin Carrefour de Créteil" ( !!! ); Stomu Yamash'ta, star exotique d'un rock progressiste chiant en dépit de la formation d'un groupe le temps d'un disque avec Stevie Winwood; Alice Cooper, crétin futé et péremptoire : "Il est temps de libérer le Rock" ( ? ) et qui, le temps d'un concert, "établit une habile liaison entre la théâtralité de deux films, Orange mécanique et West Side Story". Mazette !
Plus intéressant, un papier conséquent sur Michael Jackson et ses frères. personne ne peut se douter de ce qui les attend, mais l'accent est déjà mis sur "Michael quatorze ans, et son assurance physique et vocale."
Tout ça ne va pas très loin, et faut remplir les colonnes coco ! 

Donc, bonnes feuilles d'un livre maison sur les Stones - le mois précédent c'étaient les Beatles -, "deux orchestres ( !!! ) qui s'écartent l'un et l'autre du style instrumental anglais mis à l'honneur par les Shadows", mais qui s'opposent quand même : "l'expression de la sexualité diffuse chez les uns est résolument noyée chez les autres". Voilà voilà...

Toujours pas suffisant. On évoquera donc Léo le grand, "Ferré qui à cinquante-six ans continue d'étonner", Brassens, et, plus étrangement, "Nicoletta et toute la clique réactionnaire" ( ? ) le temps d'un gala.
Mais très vite, coup de barre progressiste ( ? ) avec un long, trop long entretien avec Catherine Ribeiro, trop jolie pour stagner dans un gauchisme déjà rance - "je combats pour la survie de l'humanité", ce genre de choses -, et dont le talent et les qualités vocales auraient justifié une carrière autrement plus riche et sans doute, une destinée autrement plus gratifiante. Gâchis.

On ajoutera un excellent papier, long, riche, documenté, huit pages sur l'univers des comics américains au delà du succès de Robert Crumb, et un Hamster jovial en travesti féministe, 


"Bricoles", pour finir. Incipit :  "Elle est l'éclair vert dans les miroirs des cafés chics. Elle est la flamme rousse derrière les vitres des limousines qui passent sans bruit. Quand on la touche elle ne le sait pas et ne bat pas des cils. Paris est juste assez grand pour elle et nous, et certains la trouvent plus belle encore. Elle renifle de la cocaïne en avalant des huîtres : comme une lame de glace bleue son esprit s'aiguise contre les cristaux blancs. C'est une femme lisse, si lisse que quand on baise sa bouche c'est le frôlement retrouvé de la blouse en satin où l'on pleurait enfant. Bouche gonflée, plus rouge que le plus rouge des rouges, ne marque pas les filtres des cigarettes qu'elle lui plante en plein cœur."

Une dame qui, "jadis, avait un écrivain un peu âgé, un amant d'Amérique Latine qui s'habillait à Londres et dont un livre l'avait fait pleurer des larmes de whisky. Quand elle est rentrée au matin, il avait laissé échapper de sa main le vieux pistolet et n'avait presque pas saigné.
Une feuille glissée dans la machine, traversée en ligne droite par une petite procession de lettres noires : « Je pense trop à toi, mi amor, et je deviens distrait : j'ai cru que c'était le séchoir à cheveux. Adios. »
Elle conserve la feuille pliée en quatre dans le fond de son sac et ne la montre qu'au fin fond de ses grandes ivresses."
Paringaux ? un écrivain fin dix-neuvième siècle égaré dans le suivant.

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