Rock & Folk, 50 ans après. Épisode VI.

Pardon pour le retard, impatient lecteur ! Mais on n'est pas aux pièces non plus... Et la deadline, ici, est plutôt floue, surtout en ces temps de gestion cioranesque du sommeil...
De toutes façons, ce numéro de l'estimable revue de novembre 1972 n'avait pas grand chose pour imprimer les mémoires. Quoique, en cherchant bien...



Passons sur l'accessoire - trois pages sur Slade, dont on prévoit quand même la fin prochaine, le pittoresque - huit ( ! ) pages, et couverture, sur Robert Charlebois, l'homme qui "met le rock" ( qui ne lui avait rien demandé ) "en joual" ( ? ) : daté, vieillot, vieux-jeu, vieilli. On se croirait chez Chancel... Pouvait mieux faire : ce type avait dans son Panthéon, et dans l'ordre, Chuck Berry, Sinatra, Dylan et Brassens. Gâchis ?
Puis sur le persistant comique franchouillard à propos des Beatles, avec les bonnes feuilles d'un bouquin à paraître signé Alain Dister. On est en terrain balisé, lieux communs et clichés à la pelle. Extraits : " Dès qu'il était hors de chez Mimi, John devenait le chef, où qu'il soit", " Paul était un bon élève, travaillant avec aisance", "John était le chef reconnu, son aspect en imposait aux filles et aux garçons aimant le leadership" !!! etc.
J'oubliais : "The Cavern" , en VF "La Caverne" ! Ocazou...

Un peu plus consistant : Brassens, justement, à Bobino, Lou Reed, qui commence à émerger avant l'explosion Bowie, l'excellent Boz Scaggs, toujours inconnu cinquante ans après en France - prête une oreille, lecteur curieux, à son "Memphis" ( 2013 ) qui vient d'être réédité en version dite Deluxe...

Côté rendez-vous incontournables : un Hamster Jovial, à la fumette teintée d'une pédophilie plus que suggérée, quelque part entre les Beach Boys et Yvette Horner :



Et un Bricoles du côté d'Huysmans ou Mallarmé, obscure histoire d'un arracheur de dents à la dentition comme d'un clavier, au bord de l'eau... Des fulgurances, "Les mains (blanches, très blanches) montent, redescendent, encore, les sons s'organisent en un rythme lent qui fait sauter et danser la poussière dans un rai de lumière oblique.
Ainsi peut-on voir, oui voir la musique.
Tout autour le calme. Tout autour le calme d'un après-midi d'été immobile. Tout autour le calme d'un après-midi d'été immobile. traversé seulement par les insectes saoulés du parfum des fruits mûrs. (...) Obstinément, les insectes tissent dans le silence leurs réseaux compliqués".


Côté bouquins, rien d'autre qu'une biographie d'Elvis qui semble faire la part belle au Colonel Parker, dont il est finement noté qu'il est "un génial marchand qui ne s'embarrasse d'aucune considération morale" ! Le Hollandais voleur a dû apprécier le compliment...


Côté disques, pas grand-chose : le premier Buddy Guy & Junior Wells, devenu un classique depuis, un Temptations qui fera date avec son "Papa was a rolling stone", autoroute vers toutes les dérives de la soul en disco, des français rive gauche - chiants donc - Gilles Servat, Monique Morelli, mon Dieu... -, une part belle au jazz - si on peut continuer à appeler ça ainsi : Herbie Hancock, Keith Jarrett, Pharoah Sanders, enfin un Bobby Womack et un Curtis Mayfield sans doute encore écoutables aujourd’hui.

Sans oublier le premier opus solo de Pete Townshend - toujours écoutable lui ? Pas sûr...


Rien de transcendant. Mais voilà que se présentent trois articles de fond qui valent le détour :

Le premier sur Miles et ses épigones, le haut du panier donc : Hancock, Jarrett, McLaughlin, Tony Williams. De l'histoire aujourd’hui.

Puis une envolée de dix pages de Paringaux avec deux de ses permanentes fixations, Procol Harum et Steppenwolf. Un régal pour qui se souvient d'eux.

Les anglais, à jamais flingués par le monstrueux succès que l'on sait - enfin j'espère... -, à l'occasion d'un concert en Suisse avec l'orchestre de l'opéra de Munich, sans doute mus par un"besoin de respectabilité, et au-delà peut-être, d'éternité" en cette période pré-"Grand Hôtel".

Paringaux note justement que "rock et musique symphonique, à de rares exceptions près" ne sont que "placages sans grand intérêt, juxtaposition de deux genres qui ne parviennent nullement à s'interpénétrer". Exception faite justement, Procol Harum, " dont l'écriture est au départ, de facture classique" et " qui ne s'est jamais voulu progressiste". Un "Procol Harum qui piétine depuis deux ans après quatre premiers albums ( qui ) ont tous apporté beaucoup au patrimoine de la rock music, mais toujours dans les sphères supérieures, de ceux qui vous habituent aux chefs-d’œuvre, et dont on s'étonne toujours qu'ils n'en fournissent pas à la demande".

Je ne sais toujours pas exactement ce qu'est le "patrimoine de la rock music", mais je demeure convaincu de la très très haute qualité des six ou sept premiers albums des ex-Paramounts.

Témoin ce coup de chapeau à Gary Brooker, "à part dans l'univers u rock, en ce sens qu'il est compositeur au vrai sens du terme et non pas faiseur de mélodies comme la plupart de ses confrères"... Procol Harum, avec "The Band", le groupe le moins tape-à-l'œil qui soit"

Bien vu.

Et "après les raffinements un tout petit peu décadents de Procol Harum, Steppenwolf et sa bestialité". "Un monde sépare ces deux musiques, le monde qui sépare le rock britannique léché, raffiné, dépourvu d'autres motivations que sa propre beauté, et son cousin d'Amérique, en prise directe avec la réalité d'un continent encore un peu sauvage et reflet de sa terrifiante violence".

Certes tout cela fait un peu cliché. Reste le souvenir d'un temps où il était permis, et plus, d'aimer des musiques aussi différentes quant au fond et à la forme. Les derniers feux du rock sans doute...


Enfin, pour la bonne bouche, un long article de fond sur Stephen Stills dont on parlait l'autre jour. Article exhaustif pour l'époque sur un musicien - un vrai lui aussi - au CV et à la discographie impressionnants. Jusqu'à la fin de la décennie, il devait survoler l'ensemble de ses confrères - exception faite d'Al Kooper et de Winwood sans doute - compositeurs, chanteurs et instrumentistes tout à la fois, avant la décrépitude des eighties.

Ce type là, n'aurait-il qu'enregistré la face deux de l'incroyable "Super Session" avec LA version de "Season of the Witch"... Passons.


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